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30 septembre 2012 7 30 /09 /septembre /2012 20:52

Qui informe qui ?

Le commandement de la gendarmerie nationale rendait

public un communiqué le dimanche 22 avril 2001, dans

lequel il déclarait que le défunt avait été interpellé "suite à

une agression suivie de vol". Le ministre de l'Intérieur

reprenait alors une autre et fausse information, déclarant que

la victime était un "délinquant de 26 ans", alors que presque

toute la presse avait parlé du jeune lycéen Guermah

Massinissa. Certes, la commission Issad a relevé, dans son

rapport rendu public le 29 juillet 2001, que "les bavures

(assassinat de Guermah et arrestation arbitraire des

collégiens d'Amizour), aggravées par les fausses déclarations

des autorités (…), devaient donner lieu à une série d'émeutes

dans les wilayas de Tizi-Ouzou et de Béjaïa, et attei[ndre] les

wilayas limitrophes de Bouira, Sétif et Bordj Bou Arréridj". En

revanche, elle n'a pas su situer avec exactitude les centres de

contrôle de l'information qui ont renseigné le commandement

de la gendarmerie et le ministre de l'Intérieur, alors qu'elle

disposait "de larges prérogatives" pour le faire.

On relève que de toutes les institutions sollicitées par la

commission d'enquête, seule la Direction du Renseignement et

de la Sécurité (DRS), institution chargée d'informer et de

renseigner des corps militaires comme la gendarmerie

nationale, a refusé de collaborer avec la commission d'enquête.

Qui a donné l'ordre de tirer ?

"Au commencement, ce ne sont pas les foules qui ont été

l'agresseur. Elles ne sont pas à l'origine des deux événements

déclenchant. Si quelqu'un a franchement donné l'ordre de

tirer à balles réelles, en revanche personne n'a donné l'ordre

de cesser le feu" note la commission d'enquête d'Issad qui

met en cause la chaîne de commandement, sans toutefois

désigner le moindre responsable. "Les ordres de la

gendarmerie de ne pas utiliser d'armes n'ont pas été

exécutés, ce qui donne à penser que le commandement a

perdu le contrôle de ses troupes, ou a été parasité par des

forces externes à son propre corps", ajoute le rapport

privilégiant ainsi ces deux hypothèses.

Plusieurs témoignages et faits démontrent que les forces de

l'ordre savaient très bien ce qu'elles faisaient, et que ses

éléments ne faisaient qu'exécuter les ordres. Ce fut le cas à

Azzazga, lors du massacre du vendredi 27 avril 2001 : le

commandant du secteur de Tizi-Ouzou était présent dans la

brigade de gendarmerie lorsque les gendarmes investirent la

rue, pourchassant les manifestants et leur tirant dessus.

Algérie : La répression du Printemps Noir (avril 2001 - avril 2002)

Le traitement des événements par les autorités

L A D D H / P A G E 8

De même, dans la localité de Illoula (Tizi-Ouzou), où un jeune

de 20 ans a été exécuté par le chef de brigade, alors que ses

éléments avaient refusé d'obéir aux ordres de tirer sur les

manifestants20. Comment expliquer alors que des renforts,

qui ne peuvent se déplacer que sur ordre, arrivent dans

plusieurs localités à la fois pour mener des expéditions

punitives, utilisant les mêmes pratiques partout. S'il y a eu

dérapage, pourquoi les chefs de brigades ou d'autres

supérieurs n'ont pas mis aux arrêts les responsables de ces

tueries, comme ce fût le cas, seul cas d'ailleurs, à Draâ Ben

Khedda où le chef de brigade a mis aux arrêts les deux

responsables des tueries ?

Malgré les conclusions déjà accablantes du rapport Issad sur la

responsabilité des autorités dans ces massacres, la

commission n'a pas été au bout de ses investigations pour

situer avec exactitude ces forces capables de "détourner" les

ordres d'un corps militaire comme la gendarmerie nationale.

Trois mois après ces tueries, la commission n'avait toujours pas

expliqué pourquoi les différentes autorités militaires et civiles,

à commencer par le chef de l'Etat, n'avaient pas réagi et donné

l'ordre aux forces de sécurité d'arrêter de tirer contre les

manifestants. Comment cela peut-il être expliqué quand on sait

qu'en juin 1998, suite à l'assassinat de deux jeunes lors des

événements suivant la mort de Matoub Lounes, le ministre de

l'Intérieur de l'époque avait ordonné aux forces de l'ordre de ne

pas utiliser d'arme à feu contre les manifestants ?

Pourquoi charger uniquement les gendarmes ?

Le rapport Issad rendu public le dimanche 29 juillet 2001, a

jugé que la gendarmerie était la principale responsable dans

la répression du soulèvement en Kabylie depuis le 18 avril

2001, alors que nos enquêtes révèlent l'implication des

autres forces de sécurité, tous corps confondus, dans cette

répression. Pour rappel, il y a eu 55 citoyens exécutés par des

gendarmes, 14 par des CNS (police), 8 par des policiers en

civil, 1 citoyen tué par la Brigade Mobile de Police Judiciaire

(BMPJ), 1 par un chef de Daïra, 2 par des gardes communaux,

1 par un militaire21.

Dans un souci de transparence, la commission aurait dû

publier dans son intégralité la liste nominative des victimes

décédées, torturées ou maltraitées dans les brigades de

gendarmerie et/ou dans les commissariats de police. Elle

aurait aussi dû demander la liste des gendarmes, policiers,

militaires et gardes communaux qui ont tué durant ces

événements. Cela aurait certainement facilité aux familles la

poursuite des coupables selon les règles du droit pénal

devant les juridictions civiles ou militaires.

b) Dernières conclusions de la commission Issad

Le deuxième rapport remis par le Pr. Issad au chef de l'Etat le

26 décembre 2001, souligne que la responsabilité dans les

assassinats et autres violations des droits de l'Homme lors de

ces événements demeure impossible à déterminer.

Issad rappelle que le décret présidentiel du n° 92/44 du 9

février 1992 portant instauration de l'état d'urgence

maintient "les pouvoirs du ministre de l'Intérieur comme

responsable du maintien de l'ordre à l'échelon national". En

d'autres termes, c'est l'autorité civile qui est habilitée à

prendre des "mesures de préservation ou de rétablissement

de l'ordre public" (article 4), le ministre de l'Intérieur ne

pouvant que confier par délégation à l'autorité militaire la

direction des opérations de rétablissement de l'ordre "à

l'échelle de localités ou de circonscriptions territoriales

déterminées" (article 9).

Alors que l'arrêté interministériel [complémentaire] non

publié du 25 juillet 1993 - signé par le général Nezzar et le

ministre de l'Intérieur de l'époque - donne clairement

délégation aux commandants des régions militaires, liant

ainsi les opérations de rétablissement de l'ordre à la lutte

contre la subversion et le terrorisme. L'enchevêtrement de

ces deux compétences rendent impossible la détermination

des responsabilités, du moins dans les textes. Dans les faits,

seule l'armée est responsable des situations de

rétablissement de l'ordre.

3) La Commission d'enquête Parlementaire

Le rapport final des travaux de la commission parlementaire

sur les événements de Kabylie, présidée par Ahmed Bayoud,

a été remis le 2 février 2002 à Abdelkader Bensalah,

président de l'Assemblée populaire nationale (APN), lequel à

son tour devrait le remettre au Président de la République.

La principale conclusion de cette commission souligne que

"les responsabilités sont individuelles et ne sauraient

incomber à aucune institution sécuritaire, civile ou politique.

Chaque cas doit être examiné à part et doit être soumis aux

instances judiciaires pour trancher".

4) Le traitement de la justice et l'impunité

En septembre 2001, à Béjaïa, a lieu le premier procès de ces

événements. Un policier était accusé par les citoyens d'avoir

écrasé volontairement, le 15 juin 2001, Serraye Hafnaoui qui

roulait en moto. Lors de cette audience 5 témoins oculaires

Algérie : La répression du Printemps Noir (avril 2001 - avril 2002)

Notes :

20. Voir annexe 2 témoignages.

21. Voir en annexe 1 : Les forces impliquées dans la répression.

L A D D H / P A G E 9

de l'incident se sont présentés devant le juge et ont confirmé

que Hafnaoui avait bel et bien été délibérément écrasé par

l'accusé. Malgré ce témoignage, l'accusé n'a pris que 2 mois

de prison ferme pour "accident de voiture", alors qu'aucun

constat n'a été fait. Rabah T., témoin principal, outré par ce

jugement racontait que "lors de la même audience, le même

jour un jeune a été condamné à 3 ans de prison ferme pour

agression sur un policier alors que ce dernier n'avait même

pas présenté de témoins. C'est cela la justice ?" Cet exemple

donnait un aperçu de ce qu'allait être le " traitement " de ces

événements par la justice algérienne et dès lors, le vent de

l'impunité souffle sur les éléments des forces de l'ordre qui

sont impliqués dans les tueries, la torture et les mauvais

traitements qui ont eu lieu durant ces événements.

Le parquet général de Béjaïa a publié le 16 mars 2002 un

communiqué, repris par l'APS22, relatif aux 26 martyrs du

Printemps Noir de cette circonscription judiciaire. Les

enquêtes concernant ces décès doivent connaître

"rapidement leur aboutissement judiciaire dans le strict

cadre de la loi et dans une totale transparence", peut-on y

lire. Un appel aux familles des victimes et aux ayants droit des

personnes décédées, ainsi qu'à tout témoin de la tragédie a

été lancé par l'institution judiciaire. Le parquet précise que

son objectif est de "permettre de diligenter les informations

judiciaires relatives aux 26 décès". Le parquet général a

rappelé qu'il avait déjà diffusé par voie de presse un appel le

29 mai 2001 pour les mêmes objectifs. Quelques jours après

cet appel en juin 2001, le père de Kamel Irchane de Azzazga

a été convoqué par le juge d'instruction après un dépôt de

plainte. Le magistrat lui a demandé de fournir des preuves

que les tueurs étaient bien des gendarmes, alors qu'à cette

date tout le monde savait que les gendarmes, notamment à

Azazga, avaient ouvert le feu sur les manifestants.

Pratiquement toutes les familles que nous avons rencontrées

ont relevé le même comportement au niveau de la justice.

Sachant que les victimes ont bel et bien été tuées par des

éléments des forces de l'ordre, les procureurs ou les juges

d'instruction ont demandé aux familles de victimes des

preuves matérielles, alors que les témoins sont souvent

ouvertement ignorés.

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