La répression sanglante des forces de sécurité
Notes :
12. Voir annexe 1 : Les forces de l'ordre impliquées.
13. Voir paragraphe 3 : Tortures et mauvais traitements.
14. Voir annexe 2.
15. Voir témoignages annexe 2.
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d'eux, quand un des CNS armé de sa Kalachnikov, posté
derrière les autres, sort et tire des rafales dans notre
direction faisant plusieurs morts, dont Karim Sidhoum et une
quinzaine de blessés. Il devait être entre 17h30 et 18h00 ". À
Tichy, des éléments des forces anti-émeutes de la
gendarmerie ont pourchassé et tué un jeune de 15 ans qui
fuyait dans un verger.
2) Des tirs de snipers
Les sources hospitalières ainsi que les différents
témoignages recueillis sur place, montrent que les forces de
l'ordre ont utilisé dès le départ des moyens musclés pour
répondre aux manifestations de rue. Aux jets de pierres, les
gendarmes et les CNS ont répondu avec des armes de
guerres de type Kalachnikov ou Séminov. Le rapport de la
commission Issad16 mentionne qu'une expertise balistique
(celle de Guermah) affirme que les orifices de sortie des
balles de Kalachnikov peuvent avoir un diamètre de plus de
six centimètres.
Les médecins de l'hôpital de Tizi-Ouzou, de Larbaâ Nath
Irathen, d'Azzazga et d'Akbou, qui avaient traité les victimes
du mois d'avril 2001, ont confirmé avec certitude les
informations qui nous étaient parvenues sur la présence de
snipers. "Presque toutes les victimes que nous avons reçues
montrent avec précision des impacts de balles sur la tête, le
cou et la moitié supérieure du thorax. Il y a beaucoup moins
d'impacts abdominaux ou thoraco-abdominaux. Les
localisations des blessures démontrent que les tireurs
avaient l'intention dès le départ de tuer avec préméditation."
D'ailleurs, les conclusions du rapport Issad sont assez
significatives : il relève que "la plupart des morts ont été
touchés dans les parties vitales les plus fragiles, situées dans
la partie haute du corps humain (au-dessus du sixième
espace intercostal) et qui laissent peu de chances à une
thérapeutique, fut-elle pratiquée d'extrême urgence et la
grande proportion de ces localisations mortelles paraît
difficilement imputable au hasard de la dispersion des
projectiles".
Les victimes ont été touchées à plus de 80 mètres des
brigades de gendarmerie ou des commissariats de police,
alors qu'elles étaient sans armes et fuyaient les assauts des
forces anti-émeutes. D'après nos enquêtes, les forces de
l'ordre ont utilisé des snipers pour réprimer les manifestants
ou tout simplement pour exécuter des personnes. Le ou les
tireur(s) étaient souvent, postés sur des terrasses comme à
Larbaâ Nath Irathen, Maâtkas, Oudhias, Ouzellaguen et à
Azazga.
Plusieurs témoignages ont confirmé la sauvagerie et la
volonté déterminée des forces de l'ordre d'exécuter des civils
sans états d'âme. À Ouzellaguen le 26 avril 2001, Ibrahim
Saddek a été roué de coups et un des gendarmes lui a craché
dessus alors qu'il gisait par terre, blessé à la suite d'un tir de
sniper. Le 27 avril, à Azazga, (Tizi-Ouzou), un gendarme
sniper, posté sur une terrasse, a exécuté de sang froid cinq
personnes en 30 minutes17.
À Akbou, (Béjaïa), le jeune Abdelkrim Mesbah, âgé de 20 ans,
a été victime d'un sniper, un policier en civil, posté sur la
terrasse du commissariat de police d'Akbou. Le témoin a
précisé que la jeune victime "était assise à une trentaine de
mètres du commissariat, il était en train de manger quand il
a reçu une balle en pleine tête. Alors que les autres policiers
et CNS, continuaient à tirer pour nous empêcher de le
secourir. Il a fallu qu'on fasse le tour, 300 à 400 mètres de
plus pour rejoindre l'hôpital, Abdelkrim avait perdu beaucoup
de sang, il mourra quelques minutes après".
À Sidi Aïche, dans le village de Takriets, Messalti Hafid, âgé de
13 ans, a été tué par un gendarme des brigades anti-émeutes
alors qu'il sortait de chez lui. Sa famille racontait que "le
gendarme en question était à une centaine de mètres de la
victime, le gendarme s'est mis à genou, a visé la tête de Hafid
et lui a tiré une balle". À Alger, le jeune Hanniche Hamid,17
ans, a été tué par un militaire posté dans sa guérite, alors
qu'il s'apprêtait à rentrer chez lui après la marche pacifique
du Front des Forces Socialistes18, le 31 mai 2001.
3) Tortures et mauvais traitements
Après chaque arrestation, les pratiques de tortures et de
mauvais traitements par les forces de l'ordre, ont été
systématiques. Des centaines de cas ont été enregistrés par
la LADDH.
Idir C, 21 ans, raconte : "J'ai été emmené et mis en cellule, les
deux gendarmes qui m'ont embarqué se battaient entre eux
pour savoir qui des deux allait commencer à me battre. Ils
m'ont déshabillé et battu, à tour de rôle, sans arrêt de 15h00
à 21h00. Par la suite ils m'ont sorti dans la cour de la brigade
pour ramasser les pierres ensuite, ils m'ont menacé de mort
Algérie : La répression du Printemps Noir (avril 2001 - avril 2002)
Notes :
16. Voir page 7, chapitre sur le traitement des événements par les autorités.
17. Voir témoignages dans la commune de Azzazga (Tizi-Ouzou).
18. FFS : Parti d'opposition.
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si je ne mont[ais] pas sur la terrasse de la brigade pour crier
aux passants : Vive la Gendarmerie !".
Dans la même période S. Dahmane, né le 9 septembre 1972,
a été agressé par des gendarmes alors qu'il essayait, avec
d'autres, d'éteindre une voiture en feu. "J'ai reçu un coup de
barre de fer sur la tête et j'ai perdu connaissance. Ce n'est
qu'à mon réveil à l'hôpital que mes amis, qui ont pu me tirer
de là, m'ont raconté que les gendarmes, une dizaine d'après
eux, m'ont roué de coups et mis à nu avant de me délester de
mon argent (2000 dinars algériens, 200 FF) et me jeter près
de la voiture en feu. J'ai eu trois dents cassées. (…)".
Dans cette localité uniquement à Tadmaït (Tizi-Ouzou), nous
avons eu une vingtaine de témoignages de ce genre. Les
forces de l'ordre n'ont épargné personne. À Chorfa (Bouira),
un jeune, Walid S., 14 ans, a été arrêté, torturé, terrorisé toute
la nuit par les gendarmes de la brigade de Chorfa. Le
lendemain, un fourgon de la gendarmerie, transportant une
dizaine de personnes arrêtées et qui avaient subi les mêmes
traitements, s'est dirigé vers Bouira pour les présenter devant
le juge. L'une d'entre elles a vu comment le jeune Walid S. a
été jeté sous un pont alors que le camion roulait. D'après ce
témoin, les gendarmes étaient persuadés que le jeune
mineur, vu son âge, allait être relâché par le juge. À quelques
kilomètres de là, à Ouzellaguen, un jeune de vingt ans
capturé par les gendarmes, s'est fait tabasser par une
trentaine d'entre eux à l'intérieur de la brigade de Hellouane.
Il s'en est sorti avec la mâchoire déplacée, la jambe droite et
son bras fracturés.
4) Expéditions punitives, représailles, pillages et vols
Plusieurs témoignages et informations relevés par la presse
font état de campagnes de représailles et d'expéditions
punitives, notamment durant le mois de juin 2001. À Chorfa,
le 20 juin 2001, des brigades de gendarmerie sont arrivés en
renforts. Les citoyens parlaient de "gendarmes avec un
physique incroyable", ce qui leur a fait croire qu'il s'agissait
"d'hommes des forces spéciales, les bérets rouges19
déguisés en gendarmes." Les mêmes informations ont été
rapportées dans la presse du mois de juin 2001 sur
l'éventuelle présence de bérets rouge à Akbou et à Béjaïa
déguisés en gendarmes, appelés en renfort pour mater les
manifestants de Kabylie. Vers 22h00, racontaient les citoyens
de Chorfa rencontrés sur place, ils ont commencé à sortir parderrière
la gendarmerie en faisant le mur. Ils avaient des
armes blanches et lançaient des pierres dans les maisons en
menaçant et en insultant les habitants. Sur leur passage, ils
cassaient les éclairages publics, saccageaient les commerces
et tentaient des incursions dans les maisons, ils se sont
attaqués au Centre Culturel pour détruire la stèle de Matoub
Lounes, et tenter ensuite d'y mettre le feu. Vers minuit, les
jeunes se sont constitués en groupes d'autodéfense armés
de pioches, de barres de fer, de couteaux pour protéger leurs
quartiers. Les appels à la vigilance et à l'autodéfense fusaient
des hauts-parleurs de la mosquée de Chorfa.
Plusieurs localités ont vécu cette situation, juste après la
marche du 14 juin 2001. Des gendarmes et des CNS armés
de cocktails Molotov, de pierres et d'armes blanches se sont
attaqués à des maisons et des locaux de partis politiques,
cassant les voitures des particuliers, saccageant et pillant les
commerces.
Dans la wilaya de Bejaïa, à Akbou, du 18 au 19 juin 2001, les
CNS, après avoir tiré sur la foule, se sont emparés de l'Hôpital
et ont saccagé les éclairages publics pour ensuite piller les
magasins et boulangeries. Dans la même journée, une
descente punitive à Haïzer, dans la wilaya de Bouira, a fait 5
blessés parmi les habitants et plusieurs magasins pillés. Du
côté de Tizi-Ouzou, les mêmes scènes de pillages et
d'expéditions punitives ont eu lieu à Fréha, Azazga et Larbaâ
Nath Irathen, Tizi Rached, Béni Yenni, où des gendarmes ont
organisé une descente punitive nocturne saccageant
commerces et locaux, suite à une tentative, par de jeunes
manifestants, de brûler un camion de la gendarmerie. À Beni
Maouche (Sétif), même chose. Le jeune commerçant
Ouchabaâ K. a vu, comme d'autres, son commerce pillé et sa
voiture saccagés par les gendarmes, alors que d'autres
commerces ont bizarrement été épargnés. Ouchabaâ
expliquait que ceux "qui ont été la cible des gendarmes
étaient ceux qui ne voulaient pas céder à leurs pressions
auparavant. À plusieurs reprises, ils ont essayé de faire des
courses, chez moi, gratuitement et j'ai toujours refusé. Et je
suis sûr que c'est un règlement de comptes sinon comment
expliquer qu'entre deux commerces saccagés, il y [en] a un
d'épargné". Cette campagne de terreur, suite aux descentes
punitives du mois de juin 2001, a fait fuir des familles
entières habitant les environs de brigades de gendarmerie ou
de commissariats. Ainsi, à Tizi Rached, le 21 juin 2001, suite
aux expéditions punitives nocturnes, les habitants vivant à
proximité de la gendarmerie ont abandonné leur domicile dès
le lendemain matin.
5) Destruction, attaques et occupation des hôpitaux
Durant ce Printemps Noir, les forces anti-émeutes, qu'elles
soient de la gendarmerie ou de la police, ont souvent
pourchassé des manifestants ou des blessés à l'intérieur des
Algérie : La répression du Printemps Noir (avril 2001 - avril 2002)
Note :
19. Troupes spéciales du corps de parachutistes, investies dans la lutte antisubversive.
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hôpitaux. Plusieurs cas ont été signalés et dénoncés par des
médecins, notamment à Tizi-Ouzou où le principal hôpital de
la région a été "visité" à plusieurs reprises dans la nuit par des
gendarmes pour tabasser les blessés.
À El Kseur, S. A., membre du Croissant Rouge Algérien (CRA),
a raconté la journée du jeudi 24 mai 2001, qui avait fait 365
blessés : "Les CNS et les gendarmes, sous l'effet de l'alcool se
sont acharnés sur la population. Ils ont jeté des bombes
lacrymogènes à l'intérieur des maisons et ont tenté de
pénétrer dans d'autres. Ils ont pillé des commerces, saccagé
une pharmacie et tabassé un handicapé en lui brisant une
jambe alors qu'il était chez lui. Ils ont encerclé la polyclinique
et interdit le passage aux blessés ce qui nous a amenés à
ouvrir, avec des infirmiers et des médecins, des salles de
soins dans des garages de particuliers. En tant que membres
du Croissant Rouge avec le gilet officiel de secours, on a été
menacés de mort à plusieurs reprises. Et ils ont essayé à
maintes reprises de nous bloquer pour nous arracher des
mains les blessés”. Même chose à Larbaâ Nath Irathen, à
Boghni et Draa El Mizan (Tizi-Ouzou), des bénévoles du
Croissant Rouge Algérien ont été agressés par des
gendarmes. On leur a même tiré dessus alors qu'ils
essayaient de secourir des blessés.
Lors de la marche du 14 juin 2001 à Alger, plusieurs dizaines
de citoyens ont été tabassés par des policiers en civil ou en
uniforme réglementaire. Mohand Chérif H., 22 ans, était
parmi ces blessés. Brutalisé par des policiers du
commissariat du 8e, il a ensuite échappé à une tentative
d'assassinat par des policiers en civil à l'intérieur même de
l'hôpital Mustapha Bacha d'Alger : "Ils étaient trois et faisaient
le tour des blessés en les insultant. L'un d'eux avait un long
couteau à la main. Voyant mon bras dans le plâtre, ils
s'arrêtent et me rouent de coups en me menaçant de mort,
j'ai pu fuir au moment où un des infirmiers, alerté par mes
cris, est rentré dans la salle"
À Akbou, lors des deux journées sanglantes du mois de juin
(18 et 19 juin), les CNS avaient carrément pris en otage
l'hôpital, interdisant le passage des blessés et des citoyens, et
menaçant de mort le personnel médical qui s'occupait des
blessés. Il a fallu que le maire de la localité ouvre des salles
de soins à l'intérieur de la Mairie.
Dans un communiqué remis à la presse le 18 juin 2001, les
citoyens de Beni Maouche, situé à la frontière des wilayates
de Béjaïa et de Sétif, ont dénoncé les représailles dont ils ont
été victimes par les gendarmes. Les fonctionnaires de la
Mairie de Beni Maouche rencontrés sur place ont confirmé
que des gendarmes venus en renfort, se sont attaqués au
dispensaire, l'ont saccagé et y ont mis le feu, alors que c'était
le seul lieu de soin de toute la région.
Algérie : La répression du Printemps Noir (avril 2001 - avril 2002)
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1) Le discours du chef de l'Etat
Il a fallu près de dix jours d'émeutes, 43 morts et des
centaines de blessés, pour que Bouteflika, chef de l'Etat,
intervienne. C'est le 30 avril 2001, à l'occasion de la fête du
travail à la télévision algérienne qu'il appelle "la jeunesse de
Kabylie au calme". Mais à aucun moment il n'a fait d'appel en
direction des forces de sécurité pour faire cesser l'utilisation
d'armes à feu contre une jeunesse désarmée qui, selon ses
propres termes, est porteuse de "revendications légitimes". Il
annonçait la mise en place d'une commission d'enquête et
qu'"il répondra[it] à cette jeunesse de Kabylie, à ses
préoccupations et à ses revendications d'ordre culturel et
linguistique". Or, ce sont bien la répression, les assassinats, la
Hogra, l'injustice, l'absence de libertés et la mauvaise
situation socio-économique qui touchent toutes les franges
de la société, notamment les jeunes, que les manifestants
ont dénoncé lors de ces manifestations. À ce propos, le
rapport Issad dit explicitement dans ses conclusions, que "la
mort de Guermah et l'incident d'Amizour ne sont que les
causes immédiates des troubles constatés. Les causes
profondes résident ailleurs : sociales, économiques,
politiques, identitaires et abus de toutes sortes".
Suite à ce discours, les émeutes ont repris et se sont
étendues à d'autres régions que la Kabylie.
2) La mise en place d'une commission d'enquête
“indépendante"
Le mercredi 2 mai 2001, le professeur Mohand Issad était
chargé par Bouteflika, de mener une enquête sur ces
événements et ce dernier "lui donn[ait] toute la latitude pour
composer une commission ad hoc, mener les investigations
comme il l'entendait, demander tout document et entendre
toute personne qu'il jugera[it] utile". Essentiellement
composée d'avocats, d'enseignants de droit, de magistrats et
de membres de la société civile, cette commission s'est fixé
quelques missions, à savoir :
- Déplacement sur le terrain et audition de témoins,
- Exploitation de la presse,
- Exploitation de documents que le Président devait solliciter
des services concernés, soit le ministère de l'Intérieur, le
ministère de la Justice, la Direction générale de la Sûreté
nationale, la Gendarmerie nationale, le Département des
renseignements et sécurité du ministère de la Défense
nationale, des wilayas concernées et groupements de
gendarmerie de Tizi-Ouzou et Béjaïa.
a) Conclusions et non dits