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30 septembre 2012 7 30 /09 /septembre /2012 20:47

La répression sanglante des forces de sécurité

Notes :

12. Voir annexe 1 : Les forces de l'ordre impliquées.

13. Voir paragraphe 3 : Tortures et mauvais traitements.

14. Voir annexe 2.

15. Voir témoignages annexe 2.

L A D D H / P A G E 4

d'eux, quand un des CNS armé de sa Kalachnikov, posté

derrière les autres, sort et tire des rafales dans notre

direction faisant plusieurs morts, dont Karim Sidhoum et une

quinzaine de blessés. Il devait être entre 17h30 et 18h00 ". À

Tichy, des éléments des forces anti-émeutes de la

gendarmerie ont pourchassé et tué un jeune de 15 ans qui

fuyait dans un verger.

2) Des tirs de snipers

Les sources hospitalières ainsi que les différents

témoignages recueillis sur place, montrent que les forces de

l'ordre ont utilisé dès le départ des moyens musclés pour

répondre aux manifestations de rue. Aux jets de pierres, les

gendarmes et les CNS ont répondu avec des armes de

guerres de type Kalachnikov ou Séminov. Le rapport de la

commission Issad16 mentionne qu'une expertise balistique

(celle de Guermah) affirme que les orifices de sortie des

balles de Kalachnikov peuvent avoir un diamètre de plus de

six centimètres.

Les médecins de l'hôpital de Tizi-Ouzou, de Larbaâ Nath

Irathen, d'Azzazga et d'Akbou, qui avaient traité les victimes

du mois d'avril 2001, ont confirmé avec certitude les

informations qui nous étaient parvenues sur la présence de

snipers. "Presque toutes les victimes que nous avons reçues

montrent avec précision des impacts de balles sur la tête, le

cou et la moitié supérieure du thorax. Il y a beaucoup moins

d'impacts abdominaux ou thoraco-abdominaux. Les

localisations des blessures démontrent que les tireurs

avaient l'intention dès le départ de tuer avec préméditation."

D'ailleurs, les conclusions du rapport Issad sont assez

significatives : il relève que "la plupart des morts ont été

touchés dans les parties vitales les plus fragiles, situées dans

la partie haute du corps humain (au-dessus du sixième

espace intercostal) et qui laissent peu de chances à une

thérapeutique, fut-elle pratiquée d'extrême urgence et la

grande proportion de ces localisations mortelles paraît

difficilement imputable au hasard de la dispersion des

projectiles".

Les victimes ont été touchées à plus de 80 mètres des

brigades de gendarmerie ou des commissariats de police,

alors qu'elles étaient sans armes et fuyaient les assauts des

forces anti-émeutes. D'après nos enquêtes, les forces de

l'ordre ont utilisé des snipers pour réprimer les manifestants

ou tout simplement pour exécuter des personnes. Le ou les

tireur(s) étaient souvent, postés sur des terrasses comme à

Larbaâ Nath Irathen, Maâtkas, Oudhias, Ouzellaguen et à

Azazga.

Plusieurs témoignages ont confirmé la sauvagerie et la

volonté déterminée des forces de l'ordre d'exécuter des civils

sans états d'âme. À Ouzellaguen le 26 avril 2001, Ibrahim

Saddek a été roué de coups et un des gendarmes lui a craché

dessus alors qu'il gisait par terre, blessé à la suite d'un tir de

sniper. Le 27 avril, à Azazga, (Tizi-Ouzou), un gendarme

sniper, posté sur une terrasse, a exécuté de sang froid cinq

personnes en 30 minutes17.

À Akbou, (Béjaïa), le jeune Abdelkrim Mesbah, âgé de 20 ans,

a été victime d'un sniper, un policier en civil, posté sur la

terrasse du commissariat de police d'Akbou. Le témoin a

précisé que la jeune victime "était assise à une trentaine de

mètres du commissariat, il était en train de manger quand il

a reçu une balle en pleine tête. Alors que les autres policiers

et CNS, continuaient à tirer pour nous empêcher de le

secourir. Il a fallu qu'on fasse le tour, 300 à 400 mètres de

plus pour rejoindre l'hôpital, Abdelkrim avait perdu beaucoup

de sang, il mourra quelques minutes après".

À Sidi Aïche, dans le village de Takriets, Messalti Hafid, âgé de

13 ans, a été tué par un gendarme des brigades anti-émeutes

alors qu'il sortait de chez lui. Sa famille racontait que "le

gendarme en question était à une centaine de mètres de la

victime, le gendarme s'est mis à genou, a visé la tête de Hafid

et lui a tiré une balle". À Alger, le jeune Hanniche Hamid,17

ans, a été tué par un militaire posté dans sa guérite, alors

qu'il s'apprêtait à rentrer chez lui après la marche pacifique

du Front des Forces Socialistes18, le 31 mai 2001.

3) Tortures et mauvais traitements

Après chaque arrestation, les pratiques de tortures et de

mauvais traitements par les forces de l'ordre, ont été

systématiques. Des centaines de cas ont été enregistrés par

la LADDH.

Idir C, 21 ans, raconte : "J'ai été emmené et mis en cellule, les

deux gendarmes qui m'ont embarqué se battaient entre eux

pour savoir qui des deux allait commencer à me battre. Ils

m'ont déshabillé et battu, à tour de rôle, sans arrêt de 15h00

à 21h00. Par la suite ils m'ont sorti dans la cour de la brigade

pour ramasser les pierres ensuite, ils m'ont menacé de mort

Algérie : La répression du Printemps Noir (avril 2001 - avril 2002)

Notes :

16. Voir page 7, chapitre sur le traitement des événements par les autorités.

17. Voir témoignages dans la commune de Azzazga (Tizi-Ouzou).

18. FFS : Parti d'opposition.

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si je ne mont[ais] pas sur la terrasse de la brigade pour crier

aux passants : Vive la Gendarmerie !".

Dans la même période S. Dahmane, né le 9 septembre 1972,

a été agressé par des gendarmes alors qu'il essayait, avec

d'autres, d'éteindre une voiture en feu. "J'ai reçu un coup de

barre de fer sur la tête et j'ai perdu connaissance. Ce n'est

qu'à mon réveil à l'hôpital que mes amis, qui ont pu me tirer

de là, m'ont raconté que les gendarmes, une dizaine d'après

eux, m'ont roué de coups et mis à nu avant de me délester de

mon argent (2000 dinars algériens, 200 FF) et me jeter près

de la voiture en feu. J'ai eu trois dents cassées. (…)".

Dans cette localité uniquement à Tadmaït (Tizi-Ouzou), nous

avons eu une vingtaine de témoignages de ce genre. Les

forces de l'ordre n'ont épargné personne. À Chorfa (Bouira),

un jeune, Walid S., 14 ans, a été arrêté, torturé, terrorisé toute

la nuit par les gendarmes de la brigade de Chorfa. Le

lendemain, un fourgon de la gendarmerie, transportant une

dizaine de personnes arrêtées et qui avaient subi les mêmes

traitements, s'est dirigé vers Bouira pour les présenter devant

le juge. L'une d'entre elles a vu comment le jeune Walid S. a

été jeté sous un pont alors que le camion roulait. D'après ce

témoin, les gendarmes étaient persuadés que le jeune

mineur, vu son âge, allait être relâché par le juge. À quelques

kilomètres de là, à Ouzellaguen, un jeune de vingt ans

capturé par les gendarmes, s'est fait tabasser par une

trentaine d'entre eux à l'intérieur de la brigade de Hellouane.

Il s'en est sorti avec la mâchoire déplacée, la jambe droite et

son bras fracturés.

4) Expéditions punitives, représailles, pillages et vols

Plusieurs témoignages et informations relevés par la presse

font état de campagnes de représailles et d'expéditions

punitives, notamment durant le mois de juin 2001. À Chorfa,

le 20 juin 2001, des brigades de gendarmerie sont arrivés en

renforts. Les citoyens parlaient de "gendarmes avec un

physique incroyable", ce qui leur a fait croire qu'il s'agissait

"d'hommes des forces spéciales, les bérets rouges19

déguisés en gendarmes." Les mêmes informations ont été

rapportées dans la presse du mois de juin 2001 sur

l'éventuelle présence de bérets rouge à Akbou et à Béjaïa

déguisés en gendarmes, appelés en renfort pour mater les

manifestants de Kabylie. Vers 22h00, racontaient les citoyens

de Chorfa rencontrés sur place, ils ont commencé à sortir parderrière

la gendarmerie en faisant le mur. Ils avaient des

armes blanches et lançaient des pierres dans les maisons en

menaçant et en insultant les habitants. Sur leur passage, ils

cassaient les éclairages publics, saccageaient les commerces

et tentaient des incursions dans les maisons, ils se sont

attaqués au Centre Culturel pour détruire la stèle de Matoub

Lounes, et tenter ensuite d'y mettre le feu. Vers minuit, les

jeunes se sont constitués en groupes d'autodéfense armés

de pioches, de barres de fer, de couteaux pour protéger leurs

quartiers. Les appels à la vigilance et à l'autodéfense fusaient

des hauts-parleurs de la mosquée de Chorfa.

Plusieurs localités ont vécu cette situation, juste après la

marche du 14 juin 2001. Des gendarmes et des CNS armés

de cocktails Molotov, de pierres et d'armes blanches se sont

attaqués à des maisons et des locaux de partis politiques,

cassant les voitures des particuliers, saccageant et pillant les

commerces.

Dans la wilaya de Bejaïa, à Akbou, du 18 au 19 juin 2001, les

CNS, après avoir tiré sur la foule, se sont emparés de l'Hôpital

et ont saccagé les éclairages publics pour ensuite piller les

magasins et boulangeries. Dans la même journée, une

descente punitive à Haïzer, dans la wilaya de Bouira, a fait 5

blessés parmi les habitants et plusieurs magasins pillés. Du

côté de Tizi-Ouzou, les mêmes scènes de pillages et

d'expéditions punitives ont eu lieu à Fréha, Azazga et Larbaâ

Nath Irathen, Tizi Rached, Béni Yenni, où des gendarmes ont

organisé une descente punitive nocturne saccageant

commerces et locaux, suite à une tentative, par de jeunes

manifestants, de brûler un camion de la gendarmerie. À Beni

Maouche (Sétif), même chose. Le jeune commerçant

Ouchabaâ K. a vu, comme d'autres, son commerce pillé et sa

voiture saccagés par les gendarmes, alors que d'autres

commerces ont bizarrement été épargnés. Ouchabaâ

expliquait que ceux "qui ont été la cible des gendarmes

étaient ceux qui ne voulaient pas céder à leurs pressions

auparavant. À plusieurs reprises, ils ont essayé de faire des

courses, chez moi, gratuitement et j'ai toujours refusé. Et je

suis sûr que c'est un règlement de comptes sinon comment

expliquer qu'entre deux commerces saccagés, il y [en] a un

d'épargné". Cette campagne de terreur, suite aux descentes

punitives du mois de juin 2001, a fait fuir des familles

entières habitant les environs de brigades de gendarmerie ou

de commissariats. Ainsi, à Tizi Rached, le 21 juin 2001, suite

aux expéditions punitives nocturnes, les habitants vivant à

proximité de la gendarmerie ont abandonné leur domicile dès

le lendemain matin.

5) Destruction, attaques et occupation des hôpitaux

Durant ce Printemps Noir, les forces anti-émeutes, qu'elles

soient de la gendarmerie ou de la police, ont souvent

pourchassé des manifestants ou des blessés à l'intérieur des

Algérie : La répression du Printemps Noir (avril 2001 - avril 2002)

Note :

19. Troupes spéciales du corps de parachutistes, investies dans la lutte antisubversive.

L A D D H / P A G E 6

hôpitaux. Plusieurs cas ont été signalés et dénoncés par des

médecins, notamment à Tizi-Ouzou où le principal hôpital de

la région a été "visité" à plusieurs reprises dans la nuit par des

gendarmes pour tabasser les blessés.

À El Kseur, S. A., membre du Croissant Rouge Algérien (CRA),

a raconté la journée du jeudi 24 mai 2001, qui avait fait 365

blessés : "Les CNS et les gendarmes, sous l'effet de l'alcool se

sont acharnés sur la population. Ils ont jeté des bombes

lacrymogènes à l'intérieur des maisons et ont tenté de

pénétrer dans d'autres. Ils ont pillé des commerces, saccagé

une pharmacie et tabassé un handicapé en lui brisant une

jambe alors qu'il était chez lui. Ils ont encerclé la polyclinique

et interdit le passage aux blessés ce qui nous a amenés à

ouvrir, avec des infirmiers et des médecins, des salles de

soins dans des garages de particuliers. En tant que membres

du Croissant Rouge avec le gilet officiel de secours, on a été

menacés de mort à plusieurs reprises. Et ils ont essayé à

maintes reprises de nous bloquer pour nous arracher des

mains les blessés”. Même chose à Larbaâ Nath Irathen, à

Boghni et Draa El Mizan (Tizi-Ouzou), des bénévoles du

Croissant Rouge Algérien ont été agressés par des

gendarmes. On leur a même tiré dessus alors qu'ils

essayaient de secourir des blessés.

Lors de la marche du 14 juin 2001 à Alger, plusieurs dizaines

de citoyens ont été tabassés par des policiers en civil ou en

uniforme réglementaire. Mohand Chérif H., 22 ans, était

parmi ces blessés. Brutalisé par des policiers du

commissariat du 8e, il a ensuite échappé à une tentative

d'assassinat par des policiers en civil à l'intérieur même de

l'hôpital Mustapha Bacha d'Alger : "Ils étaient trois et faisaient

le tour des blessés en les insultant. L'un d'eux avait un long

couteau à la main. Voyant mon bras dans le plâtre, ils

s'arrêtent et me rouent de coups en me menaçant de mort,

j'ai pu fuir au moment où un des infirmiers, alerté par mes

cris, est rentré dans la salle"

À Akbou, lors des deux journées sanglantes du mois de juin

(18 et 19 juin), les CNS avaient carrément pris en otage

l'hôpital, interdisant le passage des blessés et des citoyens, et

menaçant de mort le personnel médical qui s'occupait des

blessés. Il a fallu que le maire de la localité ouvre des salles

de soins à l'intérieur de la Mairie.

Dans un communiqué remis à la presse le 18 juin 2001, les

citoyens de Beni Maouche, situé à la frontière des wilayates

de Béjaïa et de Sétif, ont dénoncé les représailles dont ils ont

été victimes par les gendarmes. Les fonctionnaires de la

Mairie de Beni Maouche rencontrés sur place ont confirmé

que des gendarmes venus en renfort, se sont attaqués au

dispensaire, l'ont saccagé et y ont mis le feu, alors que c'était

le seul lieu de soin de toute la région.

Algérie : La répression du Printemps Noir (avril 2001 - avril 2002)

L A D D H / P A G E 7

1) Le discours du chef de l'Etat

Il a fallu près de dix jours d'émeutes, 43 morts et des

centaines de blessés, pour que Bouteflika, chef de l'Etat,

intervienne. C'est le 30 avril 2001, à l'occasion de la fête du

travail à la télévision algérienne qu'il appelle "la jeunesse de

Kabylie au calme". Mais à aucun moment il n'a fait d'appel en

direction des forces de sécurité pour faire cesser l'utilisation

d'armes à feu contre une jeunesse désarmée qui, selon ses

propres termes, est porteuse de "revendications légitimes". Il

annonçait la mise en place d'une commission d'enquête et

qu'"il répondra[it] à cette jeunesse de Kabylie, à ses

préoccupations et à ses revendications d'ordre culturel et

linguistique". Or, ce sont bien la répression, les assassinats, la

Hogra, l'injustice, l'absence de libertés et la mauvaise

situation socio-économique qui touchent toutes les franges

de la société, notamment les jeunes, que les manifestants

ont dénoncé lors de ces manifestations. À ce propos, le

rapport Issad dit explicitement dans ses conclusions, que "la

mort de Guermah et l'incident d'Amizour ne sont que les

causes immédiates des troubles constatés. Les causes

profondes résident ailleurs : sociales, économiques,

politiques, identitaires et abus de toutes sortes".

Suite à ce discours, les émeutes ont repris et se sont

étendues à d'autres régions que la Kabylie.

2) La mise en place d'une commission d'enquête

“indépendante"

Le mercredi 2 mai 2001, le professeur Mohand Issad était

chargé par Bouteflika, de mener une enquête sur ces

événements et ce dernier "lui donn[ait] toute la latitude pour

composer une commission ad hoc, mener les investigations

comme il l'entendait, demander tout document et entendre

toute personne qu'il jugera[it] utile". Essentiellement

composée d'avocats, d'enseignants de droit, de magistrats et

de membres de la société civile, cette commission s'est fixé

quelques missions, à savoir :

- Déplacement sur le terrain et audition de témoins,

- Exploitation de la presse,

- Exploitation de documents que le Président devait solliciter

des services concernés, soit le ministère de l'Intérieur, le

ministère de la Justice, la Direction générale de la Sûreté

nationale, la Gendarmerie nationale, le Département des

renseignements et sécurité du ministère de la Défense

nationale, des wilayas concernées et groupements de

gendarmerie de Tizi-Ouzou et Béjaïa.

a) Conclusions et non dits

 

 

 

 

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