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16 février 2013 6 16 /02 /février /2013 15:17

Jadaliyya:Qu’est-ce qui vous a motivé à lancer un blog?

@7our: J’ai commencé à twitter à la fin de l’année 2009, et mes premières véritables interventions ont eu lieu à l’occasion de ce qui a été appelée « la guerre du football » entre l’Egypte et l’Algérie. On a alors atteint un summum  dans l’utilisation politique du football de la part des 2 Etats. Après cela, les révolutions arabes ont commencées, et j’ai immédiatement soutenu les changements en Tunisie et en Egypte. La solidarité avec les peuples arabes opprimés, cela dépasse l’irritation passagère née d’évènements footballistiques.

benali

Mais Twitter a ses propres insuffisances, qui sont liées à son architecture technique et qui sont inséparables de l’utilisation en temps réel qui en est faite. D’une part, il est difficile d’accéder à ses propres tweets, et d’autre part les informations publiées peuvent se périmer très vite (le tweet affiché ci-dessus montrait un graphique sur le hashtag #Sidibouzid, avec une succession de vagues croissantes). J’ai alors senti le besoin de passer à un rythme plus continu et durable pour exprimer mes idées. En détournant un proverbe latin célèbre, « les tweets s’envolent et les articles de blogs restent« , enfin tant que le compte d’hébergement reste actif.

Jadaliyya: Quels sont les sujets et les thèmes que vous couvrez et pourquoi?

@7our: Différents thèmes couvrant aussi bien la politique algérienne que des évènements géopolitiques au Sahel, ainsi que quelques observations liées aux réseaux sociaux. En réalité, mes centres d’intérêts sont beaucoup plus diversifiés, mais je me cantonne à ces sujets pour éviter le risque de dispersion.

Pourquoi s’intéresser aux services secrets ? Parce qu’ils représentent la partie la plus importante dans les profondeurs de l’Etat. Parce que les coulisses sombres du pouvoir (informel algérien) sont plus importants que le théâtre politique offert sur les médias. Mon intérêt pour les Garagouz est assez faible. En arabe, Garagouz désigne le théâtre de marionnettes. Une bonne illustration en est donnée par ces députés, muets et inutiles, qui lèvent leurs mains au moment du vote. Ceux qui tirent les fils, les marionnettistes algériens (ceux qui animent les Garagouz) demeurent dans l’ombre, inconnus du public. Comment ne pas pas devenir curieux?

Pourquoi mon intérêt dans les mouvements jihadistes du Sahel ? Le monde arabo-musulman est secoué par une guerre idéologique depuis des décennies. Il y a d’un côté un islam pacifique, serein et tolérant, avec ses coutumes et ses traditions. Il y a de l’autre côté une branche aliénante, agressive et intolérante, de l’Islam. La principale bataille a lieu ici entre la guerre et la paix. C’est une guerre au sein de la sphère arabo-musulmane, entre les partisans de la violence et les modérés. Vous pouvez deviner qui sont ceux qui vont gagner tant que les modérés ne réagissent pas fermement aux discours et actes violents.

Pour que cela soit bien clair, je n’ai aucun problème avec les Tablighis, les Wahabbites, lesSalafistes, du moment qu’ils ont un comportement pacifique. Pour moi, ils représentent une forme d’orthodoxie islamique. Et d’autres religions ont aussi des pratiquants qui choisissent de vivre leur foi d’une manière singulière.

Mais l’usage de la violence est totalement inacceptable. L’utilisation violente de l’Islam à des fins politiques doit être définitivement rejetée. Un proverbe que citait ma Grand-Mère dit que « seul celui qui a été brûlé ressent la douleur du charbon ardent. » On ne peut pas renier son propre parcours, et il est clair que ce qui s’est passé en Algérie – particulièrement dans les années 90 – affecte mon écriture sur ce sujet. Ne pas sous-estimer les extrémistes et leur idéologie totalitaire. Ne pas faire l’erreur répandue de la complaisance envers la violence – y compris le harcèlement et le discours violent. Et ne pas stigmatiser les Musulmans qui veulent vivre en paix. Voilà ma ligne de conduite sur la question.

Jadaliyya: Votre façon d’écrire a-t-elle évoluée depuis le début de votre blog?

@7our: Le blog est bilingue Français-Anglais, mais comme la plupart des lecteurs du site sont francophones, j’opte de plus en plus pour le Français, pour une question de rapidité et de facilité de rédaction. Tout blogueur écrit pour être lu et reconnu comme étant une voix respectée. J’essaie de donner un autre point de vue. On voit bien que les grands sites d’information sont guidés par leurs propres contraintes économiques. Et beaucoup de nouveaux sites d’information courent éperdument après le buzz, avec des titres racoleurs incluant les bons mots clés destinés aux robots de Google, pour récolter le maximum de visites et moissonner l’argent de la publicité. Je ne suis pas dans cette optique; j’aborde parfois des sujets tabous comme ceux des harkis, les supplétifs de l’armée française, ou ceux des disparus de la guerre civile des années 90.  Et n’ayant pas toujours le temps suffisant pour parfaire un article, je me force parfois à publier car c’est souvent un soulagement de livrer ses idées au regard public.

Jadaliyya: Dans votre article du 6 novembre sur Ansar Eddine, vous comparez les risques d’une solution militaire à la crise Malienne aux précédentes défaillances militaires lors du traitement du problème des Taliban en Afghanistan. Quels avantages pensez-vous aurait-on à poursuivre le processus de négociation avec les islamistes locaux comme Ansar Eddine, et pensez vous que le processus connaîtra des difficultés?

@7our: Malheureusement, les principaux dirigeants d’Ansar Eddine ont trahi le processus de paix à travers leur offensive sur le Sud du Mali. Ni les jihadistes locaux, ni le gouvernement malien n’étaient à la hauteur de cet urgent défi. Si la parole est aux armes dans le court terme, nul doute qu’il faudra bien un jour ou l’autre revenir à la table des négociations.

D’une manière générale, les jihadistes vivent pour faire la guerre, ce comportement est consubstantiel aux idées qui les animent. S’ils finissent par s’établir, et se mettre à construire des institutions étatiques, à respecter et leurs voisins et la légalité internationale, on ne les appelle plus alors des jihadistes. Alors, ils prennent un nom qui est le leur. L’histoire de l’Arabie Saoudite offre une très bonne illustration de cette transformation.

Il y avait un espoir que le leader Targui Iyad Ag Ghaly soit l’interlocuteur crédible pour aboutir à un rapprochement des points de vues avec Bamako. Et que dans la refondation de la république du Mali, dans un cadre fédéral tenant compte des particularismes locaux, on arrive à un compromis avec par exemple l’application d’une Sharia soft dans la région de Kidal, et ce conformément aux principes universels des droits humains. Mais je ne crois pas que cela se fera pas avec les dirigeants d’Ansar Al-Dine qui ont trahi l’engagement signé le 21 décembre à Alger, portant sur une cessation des activités hostiles. L’encre n’avait pas encore séchée qu’ils préparaient leurs véhicules tous-terrains pour la guerre. Ceux-là me semblent définitivement disqualifiés. Qui peut dire qu’ils respecteraient leur signature dans un accord futur?

La discussion avec les islamistes radicaux maliens reprendra un jour ou l’autre. Aucune vague de bombardement aérien n’éradiquera leur idéologie. Ils feront partie du paysage malien indépendamment de ce qui va se passer sur le plan militaire. Il y a quelques semaines, j’ai entendu Jean d’Amécourt, un ancien Ambassadeur de France en Afghanistan, il disait que la sortie de la crise afghane passait obligatoirement par une négociation avec les Taliban. C’était à l’occasion du dialogue inter-afghan avec des Taliban organisé au château de Chantilly près de Paris. Même si cette idée irrite certains intellectuels ayant des idées ancrées dans les certitudes du passé, la solution à la crise malienne passera par le dialogue. Qui sait, peut être que cela aura lieu aussi dans les beaux salons du Château de Chantilly.

Jadaliyya: A propos de la France et du Mali, vous avez tweeté, “comme le dit le dicton « un Etat/Pays n’a pas d’amis, seulement des intérêts. » Quels intérêts sont en jeu au Mali pour la France, et comment et pourquoi cela a-t-il débouché sur une pression française vers une solution militaire à la crise malienne?

@7our: Oui, je me rappelle de ce tweet. C’était une réponse à un twitto Malien qui était très confiant quant à l’amitié entre la France et le Mali. C’est le général de Gaulle et d’autres diplomates – du Lord Palmerston au 18 ème siècle à Kissinger dans les années 1970 – qui ont prononcé cette phrase sous différentes formes.

Comme puissance internationale et en quelque sorte gendarme dans cette partie du monde, la France a une présence militaire importante dans la bande sahélo-saharienne. Désormais, cette région risque d’être l’objet d’une nouvelle série de la théorie des dominos. Un Mali aux mains de jihadistes est un grand risque pour ses voisins, particulièrement la Mauritanie et le Niger. S’ils ne sont pas arrêtés et vaincus, les combattants du jihadisme international se seraient lancés à l’assaut d’un autre pays tôt ou tard. Le feu se serait fatalement propagé ailleurs. Le plus tôt le feu est sous contrôle, le mieux c’est.

Pour ce qui est des intérêts français. La partie visible est la société Areva. Elle exploite des mines d’uranium au Niger voisin, un minerai qui est ensuite transporté vers le port de Cotonou au Bénin, et qui une fois traité (en France) sert de combustible nucléaire dans les centrales électriques. Pour la partie invisible, on ne connait pas le potentiel de la région en terres rares, en hydrocarbures, en métaux précieux et autres ressources. Et surtout, il ne faut pas oublier la dimension géostratégique de la région. Un exemple, un projet de Gazoduc reliant le Nigéria à l’Europe à travers le Niger et l’Algérie a été reporté à des jours meilleurs. Je tiens cependant à moduler quelque peu l’aspect trop matérialiste du terme « intérêts« . Dans le monde interconnecté d’aujourd’hui, ce qui se passe à Gao ou Kidal peut avoir des conséquences à New York, Paris ou Alger.

« Un Etat n’a pas d’amis, seulement des intérêts. » L’amitié relève du champ émotionnel et irrationnel, alors que les intérêts sont des éléments du champ rationnel. Heureusement que tous les anciens « amis » de Kadhafi ne se soient pas impliqués à ses côtés lors du conflit Libyen. D’une certain façon, le futur est beaucoup plus prévisible et la vie des nations est beaucoup plus confortable en sachant que les intérêts l’emportent sur l’émotionnel.

Jadaliyya: Dans un autre article du blog, vous écrivez “Le progrès ne s’importe pas par containers” vers l’Algérie. Quelles sont les démarches que l’Algérie doit prendre pour atteindre ce que vous appelez un progrès réel? Quelles sont les erreurs de l’Etat algérien à cet égard?

@7our: Il n’y a pas que les containers qui sont importés. Les compétences et le savoir-faire viennent de l’étranger, à travers des ouvriers chinois, des ingénieurs indiens, des consultants européens. La pénurie du savoir et de la connaissance à l’intérieur du pays – couplée à la corruption prédatrice – explique le coût exponentiel de certains budgets d’infrastructure. Le coût par kilomètre d’autoroute est plus élevé en Algérie qu’en Europe pour une qualité moindre. Le budget de construction de la future grande mosquée d’Alger est plus élevé que celui de la tour Burj al-Khalifa à Dubai. Et malgré des centaines de milliards de dollars d’investissement public, il n’y a pas de champion national dans le secteur du BTP (bâtiment travaux publics) ou dans le secteur industriel en dehors du géant des hydrocarbures Sonatrach.

L’Algérie devrait investir plus dans les ressources humaines. Ce pays est comme une machine ayant une maintenance défaillante. Quand les défauts et les problèmes apparaissent, les gestionnaires s’y habituent au lieu de tenter de les résoudre. L’anormal devient alors la nouvelle norme.

Bien sûr, l’Etat construit beaucoup. Mais quel sens faut-il donner à ces établissements socio-économiques qui ne réalisent pas leur missions primaires? Des administrations corrompues et sclérosées, des hôpitaux qui ne soignent pas les patients dans de bonnes conditions, des universités qui produisent des diplômés sans compétences, etc… Quel intérêt faut-il porter à ces inaugurations d’établissements publics inefficaces? L’Etat algérien aime investir dans le béton plutôt que dans les citoyens.

La formation et l’accumulation du savoir sont les points faibles de l’Algérie. Alors le premier pas vers le progrès serait de rénover le système éducatif et le faire revenir à sa mission première. Investir dans l’algérien et lui faire confiance.

 

Source: Le Blog de Baki @7our 

 

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24 décembre 2012 1 24 /12 /décembre /2012 09:01

Le phénomène de kidnapping d’enfants prend‑il de nouvelles dimensions en Algérie ?

 

On n’a pas encore les chiffres de l’année 2012. Cela dit, nous avons enregistré un millier d’enlèvements d’enfants ces dix dernières années. Certaines années ont été particulièrement meurtrières, comme l’année 2006, au cours de laquelle 86 enfants ont été tués. Ce qui est sûr, c’est que ce phénomène, de par son importance, interpelle tout le monde.

 

 

Est-ce le manque de vigilance des parents ou l’absence de sécurité qui explique l’ampleur de ce phénomène ?

 

Les responsabilités sont enchevêtrées ! On s’aperçoit, par exemple, que les enlèvements se passent, dans les deux tiers des cas, dans les nouvelles agglomérations construites dans l’obscurité sans plan directeur, et où les gens ne se connaissent pas. Il ne s’agit pas nécessairement de bidonvilles. Il y a des quartiers entiers construits sans autorisation où il n’y a pas de commissariats ou de points de sécurité comme, S’Haoula ou Sidi Abdellah.

 

D’un autre côté, la responsabilité des parents est certaine. En 2008, il y a eu l’affaire Yacine Bouchlouch, un enfant de 4 ou 5 ans enlevé à presque 800 mètres de chez lui à 13 heures. Mais il y a eu une prise de conscience depuis cette affaire. Les gens sont plus vigilants. Il n’y a qu’à voir le matin au niveau des écoles primaires, le nombre d’enfants accompagnés par leurs parents.

 

 

Comment y remédier ?

 

Dans les villes modernes, quand il y a un enlèvement, il y a des programmes de prévention et de poursuites. Nous, on est loin de cela. On dépend d’une loi qui stipule qu’une déclaration de disparition ne se fait que 48 heures après les faits. Il est vrai que les gens réagissent un peu plus vite aujourd’hui parce qu’il y a eu trop de morts.

 

Mais ça reste des initiatives individuelles. Il faudrait qu’elles aient un socle juridique. Car lorsqu’un enfant de moins de sept ans disparaît et que les parents le signalent, il faut réagir dans le quart d’heure qui suit et immédiatement déclencher le plan de recherche. Il faut mettre en place un périmètre de sécurité et un dispositif de communication. On ne peut pas attendre une heure. Cette organisation manque encore et quand elle se met en place, elle se fait tardivement. 

 

In TSA

 

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30 octobre 2012 2 30 /10 /octobre /2012 12:40

Interview du twitteur Hour Baki accordée à Mounir Bensalah l'occasion de la sortie de son livre (Mounir Bensalah) intitulé Réseaux sociaux et révolutions.


 

mounirbensalah.jpg

 

 

@mounirbensalah: Bio et e-parcours:

@7our: De formation scientifique, je porte un intérêt particulier à la politique internationale. Précisons tout de suite que cela n’a aucun lien avec le métier que j’exerce. Je suis d’une génération qui fait le rêve d’un autre avenir pour les peuples du monde arabe, un avenir où les valeurs de respect et de tolérance prendront le dessus sur le nationalisme exacerbé et le radicalisme totalitaire.

 

Je suis arrivé sur les réseaux sociaux assez tardivement. Mes premiers pas, mes premières frappes sur le clavier sur Twitter ont d’ailleurs coïncidé avec l’attaque du bus de l’équipe d’Algérie de football au Caire en novembre 2009. Au visionnage des vidéos, il m’a semblé que les agresseurs n’étaient pas de simples voyous. Ils semblaient avoir été entraînés pour cette attaque, la force avec laquelle certains projectiles ont traversé l’habitacle du bus n’était pas normale. Vu l’importance politique que revêtait le football dans l’Egypte de Moubarak, ce débordement hors du cadre sportif était j’en suis convaincu organisé. Et depuis, on a d’ailleurs vu d’autres casseurs, d’autres Baltaguia participer à l’intimidation des manifestants égyptiens, comme force auxiliaire de la police ou de l’armée.


Et puis les évènements se sont enchaînés et se succèdent depuis. Les révolutions arabes se sont multipliées. En résumé, nous vivons une séquence historique qui se caractérise par le renversement de l’autorité, une séquence dont les effets se feront sentir sur plusieurs décennies. On ne sait pas encore combien de temps dureront les révoltes arabes, ni celles qui réussiront et celles qui vont échouer. Mais un mythe s’est envolé, l’image de « l’arabe résigné » est définitivement périmée. Soit de nouveaux systèmes politiques apaisés vont naître de ce pacte social avec les citoyens, soit des contre-révolutions vont parvenir à renverser provisoirement le cours de l’histoire au prix d’une instabilité chronique.

 

Au début je ne parlais pas de la politique algérienne sur Twitter. Il n’y avait plus beaucoup d’illusions sur ce régime, juste un espoir secret de voir des dirigeants éclairés remettre le pays sur de bons rails. Sauf que la déliquescence était une histoire sans fin. La sonnette d’alarme a encore retentie en janvier 2011 par des émeutes généralisées. L’Algérie est un pays au fonctionnement étrange. Ces émeutes étaient annoncées dans le Journal Officiel à l’avance pour qui savait lire et réfléchir. Elles ont été déclenchées suite à des décisions prises au sommet de l’Etat algérien. Dans la Loi de Finances 2011, proposée par le gouvernement d’Ouyahia, et votée par l’assemblée nationale , il avait été institué de nouvelles taxes sur des produits alimentaires de base comme l’huile et le sucre. Hallucinant ! Des députés issus d’une large fraude électorale, des ministres incompétents et dépourvus de bon sens, un président tenant de l’immobilisme dogmatique, des institutions n’ayant ni vision ni stratégie, tous coupés de la réalité du pays profond qu’ils méprisent. Ils ont eux mêmes mis le feu à la rue pour ensuite accuser la main de l’étranger.

 

@mounirbensalahA première vue, l’Algérie semble être épargnée des mouvements de contestation, à quelques exceptions près, qu’a connu le monde arabe. Approuvez-vous ce constat?

@7our: L’Algérie est épargnée par un mouvement structuré de révolte politique mais elle n’est pas épargnée par divers mouvements de contestation. C’est même un pays en ébullition, pas un jour sans une émeute, un blocage de route ou une manifestation de grévistes. Les revendications sont essentiellement « matérielles », demandes de logements, hausses de salaires, régularisation de carrières, avantages dans le commerce informel,… Les protestataires demandent des avantages particuliers, ou tout simplement leur part de la manne pétrolière, et insistent très souvent pour dire que leur démarche est apolitique. Face à ces demandes citoyennes, syndicales, corporatistes… le message implicite du régime algérien est que dans le rapport de forces – plus ou moins violent – qui les oppose « tout est négociable sauf le domaine politique ». Par contraste, des tentatives d’expression politique sur le terrain se sont vite trouvées confrontées à des forces de sécurité sur-dimensionnées et déterminées. Face à des militants pacifistes qui n’exigent que des droits reconnus comme universels comme la liberté de manifester, le système répond par une criminalisation de faits mineurs et soumet ces activistes à un harcèlement policier et judiciaire grandissant. D’où la difficulté de contester politiquement le régime algérien sur la scène publique.

Et puis, l’Algérie n’est pas comparable à la Tunisie de Ben Ali, l’Egypte de Moubarak ou la Syrie d’Assad. Les algériens vivent dans un système de semi-liberté et profitent d’une partie de la manne que redistribue l’Etat. Cela calme une partie des ardeurs et des velléités de changement, dans un pays qui reste encore traumatisé par les affrontements sanglants entre islamistes et militaires d’un passé récent.

 

@mounirbensalah: Les observateurs remarquent que les blogs ne se sont pas très développés en Algérie. Quelle est la raison à votre avis? Pareil, l’utilisation des réseaux sociaux ( facebook et twitter ) semble minime en Algérie en comparaison avec ses voisins marocains et tunisiens. Est-ce un problème de taux de pénétration d’internet en général, ou y a-t-il d’autres facteurs?

@7our: Il y a certes un moindre taux de pénétration et d’utilisation d’internet en Algérie par rapport aux pays voisins mais il y a aussi une pratique différente des réseaux sociaux. Ainsi, sur youtube, on trouvera une multitude de vidéos où des algériens s’expriment sur les sujets les plus divers, parfois avec maladresse et souvent avec beaucoup d’énergie. En d’autres termes, les supports audiovisuels recueillent plus les faveurs que les supports écrits. Cependant, la fréquentation de Facebook connait une croissance importante – probablement du fait de la facilité d’intégration de contenus audiovisuels – alors que Twitter reste un outil plus apprécié des lettrés. Sur un autre plan, la plupart des jeunes algériens sont arabophones. La blogosphère algérienne se développera-t-elle par un tropisme vers le reste du Monde Arabe? Je m’attends à ce que le changement vienne de par ces liens multiples tissés entre jeunes algériens et jeunes arabes.

 

@mounirbensalah: Comment pensez-vous que sera l’impact des blogs et réseaux sociaux sur les mouvements contestataires en Algérie dans les 2 années à venir?

@7our: L’extrapolation sur un usage plus intensif des réseaux sociaux est facile à prédire, particulièrement lorsque’il y aura une disponibilité d’internet sur les réseaux mobiles. Mais je dois reconnaître que dans le rapport de forces entre contestataires et tenants du pouvoir, ces derniers disposent de capacités matérielles et financières non négligeables. Le régime a observé ce qui s’est passé dans les autres pays, il a compris le danger que cela représentait pour lui et il a acquis des technologies de surveillance, de filtrage et de blocage d’internet. Il se fait conseiller par des cabinets de relations publiques. Il a ainsi compris la nécessité d’occuper les réseaux sociaux et de diffuser des schémas contrefaits de contestation. Les véritables contestataires sont ensuite stigmatisés comme étant des traîtres à la solde de l’OTAN, des agents sionistes, des aventuriers alléchés par la rente pétrolière, etc…nous en sommes arrivés au point où des agents du système se vantent dans les médias publics ou dans des meetings d’avoir fait éviter à l’Algérie les « dangers du printemps arabe ». Dans le psyché de certains algériens, le printemps arabe est maintenant synonyme de destructions, bombardements et souffrances. L’acharnement médiatique contre l’Algérie d’une chaîne TV comme Al Jazeera les pousse même à croire à une théorie du complot.

 

D’ici 2 ans, ce qui fera la différence, c’est notre intelligence collective. Y aura-t-il une prise de conscience chez les intellectuels algériens pour avoir une participation plus effective sur les réseaux sociaux ? Où sont les centaines de journalistes, d’écrivains, de hauts cadres, d’universitaires,… leur discrétion y est notable. Nous sommes encore loin d’avoir atteint une masse critique, digne d’une opinion publique qui veut peser sur le cours des évènements. En 2014, il y aura une présidentielle importante pour l’avenir de l’Algérie. Peut-être que cet évènement provoquera un afflux de nouveaux acteurs sur les blogs et les réseaux sociaux. Ou peut-être qu’il faudra attendre les années de vaches maigres, une chute des revenus des hydrocarbures, pour voir émerger une réaction de la société algérienne.

 

@mounirbensalah: Comment avez-vous vu l’impact de twitter, facebook et les blogs dans les dernières législatives?

@7our: Tout d’abord du côté des partis du système, c’est l’encéphalogramme plat. Le parti FLN brille ainsi par son absence des réseaux sociaux. Son compte Twitter à un taux de suivi confidentiel. Les internautes ne sont pas une partie active de son électorat. De même qu’une carte ne représente pas un territoire, cela ne dénote pas une absence totale de base populaire de ce parti. L’électeur moyen du FLN est en général une personne rurale âgée  le jeune internaute lui étant plus un absentéiste plus ou moins désabusé du débat politique.

 

Qu’en est-il des autres partis? La seule personnalité politique ayant une présence sur internet est le ministre Ghoul (du parti islamiste MSP), sa page est suivie par plus de 30.000 internautes. C’est presque l’exception qui confirme la règle. Car dans les autres partis, on dénote l’absence de toute stratégie si ce n’est pas une crispation par rapport à l’horizontalité d’internet. Une anecdote parmi d’autres, le site internet du parti des travailleurs est resté figé pendant des années, sans aucune actualisation depuis la dernière présidentielle de 1999.

 

Du côté de la contestation démocratique, les activistes sont comme la majorité de la population, très sceptiques par rapport aux promesses de Bouteflika. ils n’avaient pas confiance dans les garanties de scrutin libre et transparent. La légalisation d’une multitude de partis champignons, issus d’organisations satellites du pouvoir, avait déjà été un signe suffisamment annonciateur. Il ne nous restait plus qu’à couvrir l’évènement et la fraude dans ses moindres détails à travers un hashtag caustique #10MaiToz. On a pris à témoin l’opinion publique mondiale à défaut de convaincre la communauté internationale de réagir, ne serait ce que par un froncement de sourcils. Cela a servi d’un test à blanc, en attendant la véritable échéance électorale qui est la présidentielle de 2014. Le parlement qui vient d’être élu étant devenue une chambre d’enregistrement sous le président Bouteflika.

 

@mounirbensalah: Comment estimez-vous l’apport des blogs et des réseaux sociaux ( militantisme numérique ) dans les mouvements sociaux et les révoltes que notre région a connu?

@7our: Le militantisme numérique ne se substitue pas au militantisme sur le terrain, il lui est complémentaire. Nous avons assisté à la naissance d’une opinion publique arabe virtuelle, ou en d’autres termes l’opinion publique mondiale a désormais une composante arabe virtuelle. Ce rassemblement de personnes de différents pays, différents parcours, qui décidèrent d’agir ensemble a été un contre-pouvoir, ou un anti-pouvoir,  inédit aux régimes en place.

 

Les régimes politiques arabes font appel au passé pour asseoir ce que j’appelle leur légitimité intérieure défaillante. Ils obtiennent une obéissance civile relative en faisant appel à des valeurs historiques ou religieuses. Mais leur survie dépend surtout de la légitimité extérieure, construite sur la stabilité des échanges économiques et la préservation des intérêts des puissances mondiales. Les révolutionnaires ont ébranlé le mythe de la légitimité intérieure, et les activistes numériques ont fissuré la légitimité extérieure. Ce schéma a relativement bien fonctionné en Tunisie et en Egypte. La Libye est un scénario différent, Kadhafi ayant alimenté beaucoup d’inimitiés, particulièrement au sein de la Ligue Arabe et en Occident.

 

Qu’en est-il de la phase d’après? Après la révolte, je perçois un spleen chez le militant numérique. Comme pour le révolutionnaire blessé et oublié par les autorités de transition, le e-activiste a du mal à s’inscrire dans le nouveau cadre, surtout si ce n’était que la destruction de l’ancien régime qui donnait sens à son action. Et comme disait H Arendt « La violence peut détruire le pouvoir, elle est parfaitement incapable de le créer« . Les nouveaux temps appellent à un renouvellement du militantisme numérique. Il est parfois plus facile d’abattre un dictateur absolu que de faire reculer une multitude au comportement totalitaire. Et cette lutte est loin d’être finie.

 

NB: Mounir Bensalah est un ingénieur marocain de 33 ans, blogueur depuis 2004, il est membre de l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH).

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29 septembre 2012 6 29 /09 /septembre /2012 23:33
hamamiOui c’est du zèle puisque des centaines d’autres enfants portent ce joli prénom berbère et amazigh qui veut dire bouclier. Nous apportons aussi un démenti cinglant à ceux qui se cachent derrière la nomenclature officielle des prénoms autorisés pour leur dire que d’après nos renseignements , il existe 1261 prénoms de filles sur les registres d’état civil et non autorisés rien que dans la wilaya de Tizi ouzou. Pour contredire les zélés, nous signalons que la législation algérienne n’interdit que les prénoms juifs et ceux vulgaires, pouvant porter atteintes à la personnalité de ceux qui les porteront. Mais nous savons que seuls gênent les prénoms pouvant nous renvoyer à nos origines berbères. A travers ce déni identitaire n’a-t-on pas voulu éviter tous les boucliers qui mènent à l’arabisation et l’islamisation forcées d’une Kabylie récalcitrante  et ce au moment même ou le Baath s’écroule en Syrie. 
 
A-t-on choisi la cible en sachant que Mr Hammami Mourad ne se taira pas lui qui a la virulence du verbe envers ceux qui nous gouvernent ? Est-ce une provocation de plus ? Oui cela pourrait-être une allumette de plus envers la botte de paille kabyle. Beaucoup de prénoms importés de lointaines contrées a l’image du Pakistan et de l’Afghanistan sont tolérés parce qu’ils ont une connotation arabo-religieuse. Nous préférons laisser parler le père dont voici les réponses qu’il a bien voulues nous adresser.
 
Où on est-t-on avec l’affaire du prénom de votre fils ?
Depuis que j’ai déposé un dossier de recours au niveau du procureur de Tizi-Ouzou, le 20 septembre dernier, j’attends la réponse. D’après la personne qui a reçu mon dossier, les juges ne se réunissent qu’une fois par semaine ou quinze jours. Donc j’attends tout en espérant que les juges vont corriger l’injustice et la bureaucratie de la mairie de Tizi-Ouzou.
 
Avez-vous vu le Président de l’APC de Tizi-Ouzou ?
Non pas du tout. Dans un climat pareil qui caractérise cette mairie de Tizi-Ouzou, je ne pense pas qu’ils existent beaucoup qui penseraient à solliciter les services du maire. Je me suis contenté d’encaisser l’accueil froid et autoritaire de cette femme qui était ce jour là au guichet de l’état civil. Je pense que cette employée ne fait qu’appliquer les directives du maire. Car sa réponse devant mon insistance est claire : soit je change de prénom de mon fils ou que je dépose un dossier au niveau du procureur, arguant que le prénom  Aylan, ne figure pas sur cette fameuse liste officielle qui était à sa disposition. Je ne suis certainement pas le premier à être victime de cette injustice, le maire ne peut pas ne pas être au courant. Si c’est le cas c’est grave. 
 
Ce refus est-il convaincant ?
Non pas du tout. C’est une injustice, un abus de pouvoir, un mépris vis-à-vis du citoyen, de la bureaucratie de la part de cette fameuse mairie de Tizi-Ouzou. Je peux apporter des dizaines d’extraits d’actes de naissances d’enfants portant le prénom Aylan. L’Algérie est une seule république ou pas ?
 
Comment expliquer cette différence d’une mairie à une autre ? Comment  a-t-on confectionné la fameuse nomenclature des prénoms dans cette mairie ? De quel droit peut-on refuser à un parent de donner le prénom de son choix à son enfant ? Si cette liste existe, est-elle actualisée lorsque l’on sait que chaque année de nouveaux prénoms apparaissent ?
Je suis journaliste, donc je peux communiquer et tenter de dénoncer et me défendre, mais combien de citoyens anonymes et impuissants sont victimes chaque jour de cette injustice dans les différentes administrations algériennes. Je trouve  que le refus de cette mairie est un exemple concret du mépris et de l’excès de zèle qu’on affiche envers les citoyens. L’affaire de mon fils qui a déjà fait le tour dans les réseaux de communication et dans plusieurs journaux n’est qu’une partie apparente d’un iceberg qui s’appelle la bureaucratie, l’excès de zèle, la cacophonie, l‘anarchie, le laisser aller qui caractérisent nos administrations particulièrement dans les villes à forte concentration de population.
Je vous invite à visiter la mairie de Tizi-Ouzou. C’est un lieu qui ressemble à tout sauf à une administration. Des locaux lugubres, sales, du papier peint, vétuste qui se décolle, des toiles d’araignes, l’affichage sauvage, les queues interminables, des boxes éventrés, des altercations, la tension et ce, tous les jours que dieu fait.
L’Algérie a-t-elle recouvré son indépendance pour se retrouver dans de pareilles situations?  Doit ton payer pour un extrait de naissance. Avec tous les moyens humains et matériels dont elle dispose, cette mairie ne pourra-t-elle pas informatiser son administration ?
Qui a intérêt a ce que cette anarchie perdure, et que cette gestion archaïque soit maintenue injustement.
De quel droit peut-on refuser sèchement à un père de famille le prénom qu’il a choisi pour son fils, sans lui présenter les explications valables et convaincantes. 
 
En cas de réponse négative de la justice, comptez-vous donner un autre prénom à votre fils ?
Je ne pense pas changer de prénom. Ce n’est pas un groupe de personnes qui peuvent imposer des lois au nom de toute une république. Et tout au fond de moi j’ai confiance en la justice. Car ils doivent certainement être au courant de ces injustices. Certainement je ne suis pas la première victime et je ne serai pas la dernière. Il n y a pas de raison qu’on me refuse ce prénom. Tout d’abord ce prénom existe et il est porté par beaucoup d’enfants. Mais aussi même si ce prénom est nouveau, ils doivent l’accepter car c’est un prénom purement berbère, qui signifie « Le Bouclier ».  Et la racine de ce mot Amazigh signifie « Vie et Existence ». Et encore, Tamazight ou la culture berbère est officiellement dans la constitution algérienne. Je suis un citoyen et je suis déterminé à défendre ma citoyenneté et défendre mes droits et ceux de mes enfants
 
Et pour conclure ?
Tout d’abord je remercie tous ceux qui m’ont soutenu dans cette affaire. Ça réchauffe mon cœur et m’encourage à lutter pour le droit de mon enfant. Je remercie particulièrement les amis de Facebook qui ont relayé cette information, les nombreux titres de presse qui ont évoqué cette affaire, Kabyle.com, ainsi que la Ligue des Droit de l’Homme de Tizi-Ouzou.
J’appelle les responsables concernés à se pencher sur la situation dramatique dont laquelle se trouve la mairie de Tizi-Ouzou, où le citoyen et les employés sont livrés à eux même. Je lance un appel aux responsables de l’administration judiciaire pour accepter le prénom de Aylan pour mon fils et ce conformément aux lois en vigueur dans notre pays.

In Kabyle.com
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10 août 2012 5 10 /08 /août /2012 15:43

 

Interview : Me Hocine Zehouane, président de la Ligue des droits de l’Homme     


zehouane.jpg


L’avocat Hocine Zehouane est président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme. Dans cet entretien, il revient sur la situation des réfugiés syriens en Algérie, particulièrement la décision du gouvernement de ne pas leur accorder le statut de réfugié politique (lire).

 
Les ressortissants syriens se trouvant actuellement en Algérie ont‑ils le droit de bénéficier du statut de réfugié ?
 
Oui ! Quiconque a été obligé de quitter son pays pour des raisons politiques ou liées à la guerre a le droit de bénéficier du statut de réfugié quand il se retrouve en territoire étranger. L’Algérie est soumise aux conventions et pactes internationaux qui obligent à traiter les personnes contraintes de quitter leur pays comme des réfugiés. Abstraction faite de la manière avec laquelle ils sont rentrés sur le territoire national.
 
 
Pour le gouvernement algérien, ces personnes continueront à être régies par l’accord relatif aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des personnes conclu entre les deux pays…
 
Ce n’est pas applicable vu les circonstances actuelles, à mon avis. Tout le monde sait dans quel état se trouve la Syrie, aujourd’hui. Quand on a le statut de touriste, cela veut dire qu’on se prend en charge soi‑même et qu’on est venu pour son plaisir et cela contredit la réalité. C’est une position qui ne tient pas la route.
 
Je pense que les autorités algériennes ne maîtrisent toujours pas la situation. D’ailleurs, elles ont laissé faire jusqu’à un certain moment. D’un autre côté, les Syriens devaient se déclarer en arrivant, dire qu’ils ont quitté leur pays pour telle et telle raison.
 
 
Ce refus d’accorder le statut de réfugié aux ressortissants syriens serait‑il lié à des contraintes pour le pays d’accueil ?
 
Il y a des obligations d’entretien, de santé, de scolarisation. C’est le problème de fond quand on accueille quelqu’un en tant que réfugié. On lui doit assistance sur le plan matériel, la protection, un document pour lui permettre de circuler et de voyager.
 
 
Le statut de réfugié fait également peur aux Syriens. Y a‑t‑il une explication ?
 
Il y a des contraintes. Quand on est réfugié, on est dans des centres. On est recensés. On est probablement astreint à certains contrôles. On n’a pas, non plus, le droit de quitter le pays sans autorisation ou déclaration, etc.

 

 

In Tout Sur l'Algérie du 08/08/2012

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6 août 2012 1 06 /08 /août /2012 01:31



 

«Nous avons lu la déclaration du commissaire Boudalia, chargé de la communication à la DGSN, qui affirmait dans la presse que Slimane Rebaïne n’a pas déposé une plainte ni présenté un certificat médical. Ce n’est pas faux. La victime ne déposera pas une plainte pour le moment, elle a le temps pour ça. En attendant de ficeler le dossier, nous allons utiliser tous les moyens en notre possession pour dénoncer d’abord cette humiliation», a déclaré un militant d’Amnesty International.

 Depuis que Slimane a été tabassé par des policiers à Beni Douala, dans la wilaya de Tizi Ouzou, la question des non- jeûneurs en Algérie défraie encore une fois la chronique. Y a-t-il excès de zèle de la part des policiers ? Que prévoient la religion et la loi ?       

Beni Douala, 11e jour du mois de carême, au domicile familial de Slimane, au village Taddarth Oufella. Depuis son passage à tabac par un officier de la brigade mobile de la police de la ville de Beni Douala, Slimane, 37 ans, journalier, n’a pas cessé de recevoir des propositions pour étouffer son affaire. Slimane Rebaïne a été surpris en train de manger «à l’abri des regards», affirme-t-il, mercredi dernier par des policiers en patrouille dans la ville de Beni Douala, 15 km à l’est de Tizi Ouzou. Brutalisé, puis embarqué au commissariat, il passe près de trois heures dans les locaux de la police. «Au bout de quelques heures, mon téléphone a sonné, c’était ma mère. Elle attendait que je rentre avec des commissions. Le policier, avant de me relâcher lui dit au téléphone d’un ton menaçant : ‘‘Ecoutez madame, nous allons le relâcher mais la prochaine fois, ce sera la prison.’’», raconte Slimane, assurant qu’il n’a été ni maltraité au commissariat ni signé de PV.

Le lendemain, la victime a été conseillée de faire établir des certificats médicaux pour attester des coups qu’il a encaissés avant son embarquement au commissariat. Le certificat médical décrit plusieurs lésions et un arrêt de travail de 10 jours. «Devant la polyclinique, où j’ai été pour faire établir le premier certificat, l’officier est venu me voir. Il a commencé à me parler d’un travail, gentiment, dans une tentative d’arranger les choses à l’amiable, mais j’ai refusé la proposition ; je n’ai rien répondu», poursuit la victime. Au sujet de la plainte, Slimane reste vague, disant simplement que les choses avancent. «Avec des amis d’organisations de défense des droits de l’homme, nous sommes en train de monter un dossier, mais nous allons attendre un peu», dira-t-il. Après un moment de silence, il ajoute : «J’aurais fermé les yeux si on m’avait juste parlé ou même embarqué dans les règles. Mais ils m’ont frappé et humilié, car ce n’est pas la première fois que cela m’arrive. J’ai eu affaire au même policier et à la même brutalité l’an dernier. Là, je n’en peux plus !»


Humilié


Les traces de coups, de bleus sont toujours visibles sur le bras et le visage de Slimane. Sa mère, 70 ans, s’invite à la discussion, désirant apporter son témoignage. Et de s’interroger et dénoncer certaines pratiques des policiers. «Je sortais à peine d’une épicerie quand le véhicule de police s’arrêta à ma hauteur. Ils m’ont sollicitée de les suivre au commissariat. Ils m’ont demandé de dire qu’ils n’ont rien fait à mon fils et qu’il est rentré sans lésion ni blessures», révèle cette septuagénaire. Et de poursuivre : «Je me suis opposée à ce qu’ils essayaient de me faire dire, mais comme je ne sais pas lire, je ne pouvais pas savoir ce que les policiers ont écrit sur la feuille (une déposition, ndlr) qu’ils m’ont obligée à signer. J’ai juste essayé de leur expliquer que le jeûne est une question personnelle et que personne n’a le droit de malmener ou obliger les gens à l’observer.

Et ce, avant qu’ils ne tentent de me proposer du travail…  à mon âge !» A la fin de la rencontre, Slimane lâche, l’air effrayé : «Vont-ils encore venir me chercher après mes déclarations à la presse ?» Il tient le coup grâce au soutien des organisations de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International, la LADDH de Hocine Zehouane et la Maison des droits de l’homme de Tizi Ouzou ainsi que des partis politiques, comme le RCD, qui se sont manifestés à travers des déclarations publiques.

Face-à-Face :

 

Dr Nadir Bousba. Enseignant universitaire en sciences islamiques :
La police a le droit de protéger la morale publique

 

- Que prévoit la religion pour les non-jeûneurs qui mangent publiquement ?

Jeûner est obligatoire par rapport à la religion, c’est d’ailleurs l’un des piliers de l’islam. Et il n’est à mon avis pas utile de s’engager dans un débat pareil. Ne pas faire le jeûne est haram et seul Dieu peut punir le non-jeûneur et non la loi des hommes.


- Autrement dit les services de sécurité n’ont pas le droit d’intervenir et de tabasser le non-jeûneur…   

Dans les textes législatifs algériens, c’est vrai qu’ils ne font pas référence au Ramadhan.  Mais, ce qui est important est que la loi,  partout dans le monde, est censée préserver la morale publique et les bonnes mœurs. Il y a une tradition et une culture ancrées dans la société qui doivent être protégées par le représentant de l’Etat. Et le jeûne en fait partie. Manger publiquement pendant le Ramadhan est une atteinte aux mœurs. Ce qui m’amène à dire que manger en plein public pendant le Ramadhan est considéré comme étant une atteinte à la morale publique. Nous sommes donc passés d’une question purement religieuse à une autre sociale et législative. La société a donc le doit de refuser ce genre de comportement. Car, si on se réfère à la religion, c’est une liberté individuelle et en aucun cas, la personne ne peut être agressée si elle ne le fait pas devant les autres. Les services de sécurité sont censés protéger les bonnes mœurs.


- Mais la Constitution protège les libertés individuelles et la liberté de culte…

Je suis d’accord. Cependant, cette même Constitution protège également la société et ses sentiments. Notre liberté s’arrête où commence celle des autres.


- Pendant un mois, c’est toute la restauration qui est fermée alors que des étrangers trouvent du mal à s’intégrer…

Cela relève de l’organisation des autorités concernées. C’est au gouvernement de réfléchir à une possibilité d’ouvrir des espaces dédiés aux personnes étrangères désirant manger pendant la journée pour qu’il ne le fassent pas en public afin d’éviter de heurter la sensibilités des uns et des autres.
Nassima Oulebsir

 

 

Noureddine Benissad.Président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme : La police n’est pas une milice des mœurs

 

- La police a-t-elle le droit d’agir ?

C’est un excès de zèle. Du point de vue de la loi, les forces de l’ordre n’ont absolument pas le droit de brutaliser gratuitement un citoyen, même si, selon des témoins, le ton est monté entre cette personne et la police. Ce non-jeûneur a été brutalisé publiquement. Le rôle de la police n’est pas de s’arroger en milice des mœurs. Elle n’a pas à interpeller quelqu’un qui ne jeûne pas ou parce qu’il professe une autre religion que l’islam. Cette affaire est en lien direct avec la liberté de culte, la liberté de penser, qui est garantie par la Constitution et les différents instruments internationaux ratifiés par l’Algérie. Aucun texte à ce jour ne punit une personne qui ne souscrit pas aux obligations religieuses.


- Existe-t-il des dispositions claires à l’égard des non-jeûneurs ? Plus exactement, que prévoit la loi ?
Il existe bien l’article 144 bis du code pénal qui condamne le fait de s’attaquer à la religion et à ses symboles. Mais il faut bien lire le texte, il ne s’en prend pas aux non-jeûneurs, contrairement au Maroc, où il existe une loi précise à leur égard. En Algérie, le fait de manger pendant le mois de Ramadhan est souvent assimilé à une forme de blasphème. Et qui dit non-jeûneur, dit parfois forcément chrétien, ce qui est loin d’être le cas. Le fait de ne pas pratiquer une religion dans sa globalité relève entièrement de la liberté individuelle. Quand bien même on pourrait admettre une provocation, ce n’est pas une raison pour en arriver à des situations à la fois compliquées juridiquement et dramatiques sur le plan personnel.
Noël Boussaha

 

LES NON-JEÛNEURS TRAQUÉS

 

12 août 2010

Hocine Hocini et Salem Fellak sont arrêtés et inculpés pour avoir «mangé» durant le mois de Ramadhan. Leur procès s’est tenu le 21 septembre 2010 au tribunal de Aïn El Hammam (Tizi Ouzou), ils sont poursuivis pour «offense à l’islam». Ils seront acquités.

29 août 2010

Des agents du commissariat d’Ighzer Amokrane (Béjaïa) font irruption dans un bloc des 100 locaux commerciaux au 2e étage pour appréhender les dix jeunes âgés de 20 à 30 ans se trouvant à l’intérieur d’un local alors qu’ils prenaient un café. Poursuivis pour «offense aux préceptes de l’islam», ils sont relaxés à l’issue d’un procès.

 

7 septembre 2010

Les agents de la sûreté surprennent un groupe de jeunes près de la cité de l’Espérance à Aïn Beida (Oum El Bouaghi) suite à un appel anonyme les accusant de manger en public. Farès Bouchouata, 27 ans, est arrêté pour non-observation du jeûne. Poursuivis pour «offense aux préceptes de l’islam» Il est condamné à 2 ans de prison.

 

26 juillet 2012

A Tizi Ouzou, un jeune homme, Slimane Rebaine, âgé de 36 ans, a été tabassé par la police car il a été surpris en train de boire de l’eau.

 

27 juillet 2012

Boumerdès, trois jeunes ont été arrêtés par les services de police, et ce, pour non-observation du jeûne. Les services de police les ont surpris en train de fumer dans une maison abandonnée dans un des villages des Issers.

 

Nordine Douici in El Watan 03/08/2012
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3 août 2012 5 03 /08 /août /2012 16:54

2012_08_Abboute_555836413.jpgAbboute Arezki, coordinateur de la Maison des Droits de l’Homme et du citoyen de Tizi-Ouzou (MDHC-TO) revient dans cet entretien sur l'affaire des policiers qui ont rossé un jeune de Beni Douala.

Lematindz : Dans une déclaration que vous avez rendue publique, vous avez dénoncé le passage à tabac, par un policier d’un citoyen qui a été surpris en train de boire de l’eau. Pouvez-vous nous donner d’amples informations ?

Arezki Abboute : En effet, après que l’interpellation me parvenue par le biais d’un citoyen de la commune de Beni Douala concernant le comportement d’un policier à l’égard de M. Rebaine Slimane surpris en train de boire de l’eau, et après l’avoir vérifiée auprès des militants de la Maison des Droits de l’Homme et du citoyen de Tizi-Ouzou (MDHC-TO) résidant dans cette même commune, j’ai, en ma qualité de coordinateur de cette structure de la Ligue algérienne pour la défense des Droits de l’Homme (LADDH) rendu publique une déclaration dans laquelle j’avais, à la fois dénoncé les violences dont fut victime M. Rebaine et la récurrence de ces actes, presque chaque année, au mois de carême et rappelé que la liberté de conscience et la liberté de culte sont toutes les deux garanties par la constitution algérienne et par les deux Pactes internationaux relatifs aux Droits de l’Homme que notre pays a ratifiés avant de conclure par un appel à plus de mobilisation et de vigilance pour faire échec à l’intolérance.

Et pourtant la Direction générale de la Sureté nationale (DGSN) a apporté un démenti ?

J’ai effectivement, lu le démenti de la DGSN dans la presse et, sincèrement, je pense que c’est exactement le genre de reponses qu’il faut s’interdire de produire particulièrement quand on ne prend pas suffisamment de temps pour savoir ce qui s’est réellement passé. La Kabylie garde encore en mémoire la malheureuse sortie médiatique de l’ex-ministre de l’Intérieur, M. Zerhouni, qui avait déclaré que Guermah Massinissa, assassiné à l’intérieur de la brigade de gendarmerie de Beni Douala après son interpellation, n’était pas un lycéen mais un voyou, avant de se rétracter et d’avouer qu’il a été induit en erreur. Nous savons tous ce qu’il en a coûté à la Kabylie en terme de morts et de blessés. A l’évidence, le pouvoir algérien ne semble pas avoir tiré de leçons et, pour s’en convaincre, il suffit de voir la photo de M. Rébaine parue dans le journal électronique Tout Sur Algérie.

Avez-vous rencontré la victime, et pensez-vous déposer plainte où entreprendre d’autres actions ?

Oui, j’ai en effet rencontré la victime. Elle m’a raconté, dans le détail, comment les choses se sont réellement passées. Inutile de vous dire combien cela m’avait remué. Je l’avais écouté avec beaucoup de compassion, et une fois son témoignage terminé, je lui avais renouvelé le soutien de notre structure et lui ai réaffirmé, de vive voix, notre disponibilité à l’accompagner dans le cas où il voudrait entreprendre une action en justice contre l’auteur des violences dont il est victime.

J’ajoute que lorsque j’avais rencontré M. Rebaine Slimane, celui-ci était accompagné de deux militants connus pour leur engagement pour tamazight et l’autonomie de la Kabylie.

Pour ce qui est du dépôt de plainte où d’autres actions à entreprendre, pour le moment, je vous avoue que nous préférons nous limiter à la déclaration que nous avons rendue publique et où nous avons dénoncé l’agression et la récurrence des interpellations de non-jeûneurs et les violences commises sur M. Rebaine. 

Concernant l’éventualité d’un dépôt de plainte, la Maison des droits de l’Homme et du citoyen Tizi-Ouzou  a choisi de laisser toute latitude à la victime pour décider de la suite à donner à cette affaire. Ceci dans l’immédiat. Plus tard, à la rentrée sociale probablement, la MDHC-TO n’exclut pas d’envisager d’autres actions avec d’autres associations pour amener le pouvoir à mettre un terme à ces interpellations.

En 2010, deux citoyens ont été arrêtés à Aïn El Hammam pour non observance du jeun et ont été acquittés lors de leur procès. Dans d’autres wilayas, pour les mêmes chefs d’accusation, des citoyens ont été condamnés à de la prison ferme. Comment l’expliquez-vous ?

Je n’ai pas souvenance de cas de non-jeûneurs condamnés à de la prison ferme mais, par contre, je me souviens parfaitement de l’affaire des non-jeûneurs d’Aïn El Hammam, dans la wilaya de Tizi-Ouzou, et celle des jeûneurs d’Ighzer Amokrane, dans la wilaya de Béjaïa, en 2010. Et, si tel est le cas, je vous avoue, franchement, que cela ne me surprend pas du tout, car l’expérience m’a appris qu’à chaque fois que les citoyens décident de faire reculer l’arbitraire, l’arbitraire recule, et dans le cas des non-jeûneurs d’Aïn El Hammam et d’Ighzer Amokrane, il n’y a pas eu d’exception à celle que je considère être une règle. La mobilisation de la société civile, l’élan de solidarité qui s’est manifesté à l’endroit des accusés dès les premiers jours de l’interpellation, la mise en place d’un collectif d’avocats bénévoles … n’ont laissé planer aucun doute sur l’issue des procès d’Aïn El Hammam et d’Ighzer Amokrane : l’acquittement. La population avait voulu cet acquittement et elle l’avait obtenu.

Propos recueillis par Madjid

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24 juillet 2012 2 24 /07 /juillet /2012 01:18

Hacene Ferhati, frère d’un disparus et membre fondateur du collectif SOS Disparus, après son retour de la Tunisie où il a participé aux travaux de préparations du Forum Social Mondial, nous l’avons rencontré et il nous livré ses impressions sur la situation des familles des disparus et des défenseurs des droits humains en Algérie.

Hacène Ferhati.

Ce militant des droits de l'homme n'y va pas avec le dos de la cuillère quand il s'agit de s'élever contre les violations des droits. Contestant les pratiques du pouvoir vis-à-vis des familles des disparus, Hacene Ferhati  estime que "le pouvoir veut nous étouffer et nous faire peur en exerçant des pressions sur les familles des disparus. Le militant Hadj Smain, le père des défenseurs de la cause des disparus en Algérie, a été arrêté et emprisonné le 19 juin. Moi et 3 autres parents de disparus, les services de sécurité nous ont arrêtés lors du sit-in organisé par les familles des disparus le 5 juillet à la place du 1er Mai. Mais ce genre d’intermédiations ne changera pas notre position vis-à-vis de la cause que nous défendons, mais plutôt ça nous pousse à aller en avant et nous continueons à nous battre pour que la vérité éclate." Notre interlocuteur ajoute : "En insistant sur l’indemnisation comme seule solution à la question des disparus en Algérie, le pouvoir veut fermer le dossier des disparus en achetant le silence des familles des disparus sur la vérité et le sort de ne proches, ce que ne rejetons catégoriquement."

Concernant les sit-in des familles des disparus devant la CNCPPDH à Alger, Ferhati estime que "les familles, les mères et pères des disparus continuent à organiser des sit-in de protestation chaque mercredi devant la CNCPPDH à Alger, pour dire a l’opinion nationale et internationale qu'il y a un grand problème en Algérie qui est le problème des disparus enlevés par les services de sécurité algériens ou autres, pendant les années noires que notre cher pays a vécu durant toute une décennie."

Hacène Ferhati revient sur les arrestations des militants et déclare : "Ces derniers jours et juste après les élections, beaucoup de syndicalistes et de militants des droits de l’Homme ont été victimes d’interpellations et de poursuites judiciaires, une vrai chasse aux militants afin de faire pression sur les vrais défenseurs des droit de l'homme, j’aurais aimé et voulu savoir ce que pense la CNCPPDH sur cette affaire, car jusqu’à maintenant je n’ai jamais vu aucune déclaration concernant ces harcèlements de la commission de Ksentini qui visent à museler l’action militante et syndicale en Algérie."

Propos recueillis par Madjid 

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22 juillet 2012 7 22 /07 /juillet /2012 12:18

Hadj-Smaïn

Emprisonné pour la première fois de sa vie à 70 ans, l’ancien président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) dénonce les conditions d’incarcération qu’il a pu constater dans la prison de Relizane.

-Pour quelles raisons avez-vous été emprisonné le 18 juin dernier ?

Il s’agit d’une affaire qui remonte à l’année 2001. J’ai témoigné contre deux patriotes jugés à Nîmes (sud de la France, ndlr). Le jugement a été long parce que nous avions déposé des recours. L’affaire est allée jusque devant la Cour suprême. Au mois de janvier de cette année, la justice a confirmé une peine de deux mois de prison ferme. A partir de ce moment-là, j’ai été contacté par les services de sécurité. Ils m’ont demandé de mettre un terme à mes actions et de revenir sur mes déclarations. Dans cette affaire, j’ai dit la vérité, donc j’ai refusé. Deux mois après, la justice a émis un mandat de dépôt. Ils ont tout calculé parce que le 5 juillet est traditionnellement jour de grâce présidentielle. Ils ont laissé venir le mois de juin et ils m’ont arrêté. Alors qu’ils pouvaient le faire depuis le mois de décembre. Je ne sais pas qui est à l’origine de cette décision, mais ce n’est certainement pas la justice. Sur l’acte d’accusation, il est écrit : «Outrage à corps constitué» !

-Vous avez passé 19 jours dans la prison de Relizane. Qu’avez-vous vu ?

C’est l’enfer. Les conditions de détention sont bestiales. Les gens subissent des horreurs. Les conditions de vie, le règlement intérieur, tout est arbitraire et injuste. Les détenus ne sont pas traités comme des êtres humains. On n’a pas de lieu où dormir, pas de lieu où manger, si on ne demande pas, on n’a pas de ration non plus. A partir de minuit, dans certaines cellules, personne ne peut aller aux toilettes. Elles sont occupées par un détenu, qui dort là, sur une porte démontée et posée en travers du siège. Le traitement est le même pour tout le monde, que vous soyez militant des droits de l’homme ou prisonnier de droit commun. Les prévenus en détention provisoire doivent être considérés comme innocents. Or, ils sont traités comme tous ceux qui ont été condamnés. C’est dégradant pour un citoyen. Tout cela est inimaginable, il faut le voir pour le croire. Quand on condamne quelqu’un à la prison dans ce pays, c’est pour l’humilier et le dégrader, pas pour qu’il paye sa dette à la société. Il y a eu vraie torture morale et certains en deviennent fous.

-Dans quel objectif dénoncez-vous ces conditions de détention ?

Je suis militant des droits de l’homme depuis des années, et nous n’avons jamais parlé des conditions de détention en Algérie. Nous avons fait une faute. Selon le ministère de la Justice, tout va bien. L’opinion publique pense aussi que les prisonniers n’ont pas à se plaindre. Même la Croix-Rouge internationale dit dans ses rapports que la situation est normale. Mais avant l’arrivée des observateurs, on vide les salles, on installe la télévision, le téléphone et on achète des lits neufs. Dans la réalité, cela n’existe pas, les gens souffrent et personne ne dénonce quoique ce soit. Les prisonniers de droit commun ne disent rien, ils savent qu’ils vont revenir dans cette prison. Les autres prisonniers ne parlent pas non plus parce qu’ils ont peur d’y retourner pour diffamation. Il fallait que quelqu’un dénonce cette situation intolérable. C’est un problème primordial qui touche une grande partie de la société, et pas uniquement les détenus actuels. Nul n’est à l’abri, il y a beaucoup de futurs prisonniers dans le pays.

-Le procureur général de la cour de Relizane vous accuse de «fourvoyer l’opinion publique avec de fausses informations». Que lui répondez-vous ?

Le démenti du procureur général est hors sujet. Alors que je parlais de la situation des détenus dans les cellules, le procureur dit que je n’étais pas dans une cellule surpeuplée. C’est vrai. Mais ça ne veut rien dire, car je ne dénonce pas les mauvais traitements que j’ai subis, je parle des autres prisonniers. Il y avait des salles archicombles dont on ne pouvait pas fermer les portes. Quant aux détenus qui passent le bac, les responsables de la prison forcent les gens à s’inscrire, et ensuite ils les aident à tricher pour qu’ils réussissent. Tout ça pour la satisfaction des ministères. Le ministère de la Justice n’a aucune envie de réformer, de restructurer. Ces gens-là mentent pour tromper l’opinion publique et internationale. Les hauts responsables savent ce qui se passe, ils savent ce qu’ils disent. Je ne comprends pas pourquoi un procureur-général ou un ministre ment. Pour sauver son secteur ? Il faut dire la vérité.

-Vous avez 70 ans, n’avez-vous pas envie de passer la main ?

Passer la main à qui ? Je veux bien, mais la relève n’existe pas. Il n’y a pas assez de militants des droits de l’homme en Algérie. Le pouvoir a de l’argent, il a corrompu tout le monde, surtout la jeunesse. Le système de l’emploi-jeune, c’est une manière de corrompre. On donne de l’argent, on ne contrôle rien mais en contrepartie, «ferme-la!». Les jeunes sont libres de fumer du haschish, de faire du commerce de drogue. Mais surtout, il ne faut pas qu’ils touchent à la politique. Le pouvoir sait aussi comment dissuader les militants potentiels en les harcelant. Dès sa deuxième déclaration, un militant est mis sous contrôle judiciaire ou en prison. Les gens ne supportent pas ces conditions ; ils pensent à leur carrière, à leurs enfants, ils ont peur de la prison. Cette pénurie de militants s’explique enfin par notre histoire. Nous sommes en 2012, mais il faut se rappeler les années 1992, c’était l’enfer. A cette époque, si on n’était ni du côté du pouvoir ni du côté des terroristes, on était désignés comme opposants par les deux camps. Il y a des gens qui ont été arrêtés et tués parce qu’il fallait choisir son camp. «Ou tu es avec nous ou tu es contre nous.» Le système était capable de tout, même de tuer. Aujourd’hui, la population ne veut plus subir la violence.

-S’il est si difficile de militer, qu’est-ce qui vous fait tenir ?

Je pense à l’avenir de notre pays, de nos petits-enfants, aux autres Algériens. Si on laisse faire un régime autoritaire comme le nôtre, il peut rester des décennies, il ne bougera pas ! Le régime d’aujourd’hui est pire que le colonialisme français. La démocratie n’existe pas dans un système sécuritaire. Dans un Etat qui n’a pas de justice, il y a toujours un risque pour le citoyen, car la force reste toujours à l’autorité. A l’origine de la création de la Ligue algérienne des droits de l’homme, nous voulions pouvoir lutter contre la dictature, le népotisme, tous ceux qui s’attaquaient à la société. Aujourd’hui, la Constitution affirme bien certains principes. Mais sur le terrain, c’est autre chose. La lutte doit continuer. Il faut qu’on arrive au moins à instaurer un Etat de droit.

Bio express :

 

Mohammed Hadj Smaïn est né à Rélizane où il milite pour les droits de l’homme. Il a participé à la création du Mouvement démocratique algérien (MDA) aux côtés d’Ahmed Ben Bella. A la dissolution du parti, il rejoint Ali Yahia Abdennour et l’équipe qui créera la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH). Quelques années plus tard, il prend la tête de la LADDH à Relizane. Le 18 juin dernier, à l’âge de 70 ans, il est emprisonné pour la première fois de sa vie pour «outrage à corps constitué».

 

Yasmine Saïd
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12 juin 2012 2 12 /06 /juin /2012 12:32

M. Arezki Abboute, coordinateur de la Maison des Droits de l'Homme et du Citoyen Tizi-Ouzou et membre du comité directeur de la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l'Homme, nous a livré ses impressions sur l'aplication des textes internationaux en Algérie et sur les dispositifs nationaux de protection des droits humains depuis 1991.

 

 

"Les conventions internationales: entre ratification et application" est le thème du colloque organisé par votre Ligue au profit des professionnels du droit. Pourquoi le choix de ce thème ?

 

M. Abboute: Avant de répondre à votre question, je voudrais d’abord, si vous le permettez, rappeler que ce colloque a été organisé dans le cadre d’un projet visant à renforcer les capacités de la société civile dans le domaine de la pratique démocratique et des droits humains dans les wilayas de Tizi-Ouzou et de Béjaia. Il est co-financé par la Commission Européenne et la Fondation pour le Futur . Dans ce même cadre, nous avons également  pu mettre en oeuvre, le 03 février 2012, un autre colloque au bénéfice d’une vingtaine d’élus locaux de ces  deux wilayas et où furent présentées quatre communications  ayant pour thèmes : La décentralisation -la bonne gouvernance- la médiation- le rôle de l’APC dans le développement local.

Concernant celui qui vient de se tenir à Alger, les 25-26 mai 2012, et qui fut suivi par une trentaine de participants  entre avocats et autres juristes, je t’avoue  que ni la date ni le thème n’ont été le fait du hasard. Car, comme vous le savez certainement, l’Algérie a présenté son rapport sur la situation des droits de l’homme  devant le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU, à Genêve,  le 28 mai 2012, soit deux jours après l’organisation de notre colloque. Nous avons donc pensé qu’il ne serait pas sans intérêt  de "mettre entre les mains" de quelques  jeunes avocats  et autres jeunes  juristes, des outils pour les aider à mieux saisir l’importance de la ratification des traités internationaux relatifs aux droits humains et, surtout, le rôle que peuvent jouer les organes de suivi de ces traités dans le respect, la protection et la promotion de ces droits. D’où le choix de la date et celui des thèmes des communications qui ont été programmées : " -les mécanismes onusiens de protection des droits de l’homme- les organes de suivis des traités- la procédure de saisine de ces organes- les rapports alternatifs".

 

Malgré la ratification, par l’Algérie, de plusieurs pactes internationaux relatifs aux droits de l’Homme, le recours à ces textes reste très insuffisant quand il n’est pas totalement ignoré. Quel est votre commentaire ?

 

M. Abboute: C’est vrai que l’Algérie a ratifié la plupart des textes internationaux relatifs aux droits humains (Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, celui relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels, la Convention contre la torture, celle sur l’élimination de toutes  les formes de discrimination à l’égard des femmes... mais,  cependant,  il ne faut pas perdre de vue non plus  que certains de ces textes ont été ratifiés avec  des réserves ou des déclarations interprétatives,  ce qui limite considérablement  leur portée . C’est le cas, notamment, de la Convention Internationale relative aux  droits de l’Enfant (articles: 13, 14, 16 et 17), de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (articles: 2, 9, 15, 16 et 29 paragraphes : 2, 4et 1), de la Convention pour la prévention et la répression du  crime de Génocide (articles : 6, 9, 12)...

Ceci étant rappelé, et pour revenir à votre question, je crois franchement qu’il faut relativiser un peu votre affirmation quand vous dites que le recours à ces traités est totalement ignoré.  En effet, si effectivement, de par un  passé très récent, il était insuffisamment fait référence à ces traités dans différentes juridictions algériennes, aujourd’hui, je pense  sincèrement que les choses sont en train d’évoluer très rapidement, et cela grâce aux financements de nombreux projets par la Commission Européenne, de certaines Ambassades et autres Fondations ( Fondation Frédrich Ebert, Fondation pour le Futur...) qui ont beaucoup investi dans la formation de militants et autres cadres associatifs.

 

Comment évaluez-vous les dispositifs nationaux de protection des droits de l’homme ?

 

M. Abboute: Lorsqu’en juin 1991, dans le gouvernement de Sid Ahmed Ghozali, fut créé un ministère délégué aux droits de l’homme confié à Mr Ali Haroun, avocat connu et auteur du livre "la 7ème wilaya"( allusion faite  à la Fédération de France dont il était l’un des responsables durant la révolution), je pensais sincèrement que cela inaugurait une ère  nouvelle, une ère  où la démocratie ne serait plus une utopie et  où les  trente années de parti unique et inique, de corruption et de torture, ne seraient plus que de l’histoire ancienne.

Hélas, cela  ne sera pas le cas! Car, moins d’une année après, le ministère délégué,  entre-temps devenu ministère des droits de l’homme  en octobre 1991, fut tout simplement supprimé,  en février 1992. Le rêve d’une Nation respectueuse des libertés fondamentales s’était envolé pour laisser place à un cauchemar qui  semble ne  plus vouloir se terminer.

Durant la même année, fut décrétée l’état d’urgence, qui était resté jusqu’au début de l’année 2011, permettant ainsi à l’Etat de restreindre quand il ne suspend pas totalement certaines libertés qu’il juge menacer l’ordre public, comme la liberté de manifester, par exemple.

C’était également dans cette même atmosphère, et au cours de ce même mois de février 1992, que fut créé,  par décrêt présidentiel, l’Observatoire National des Droits de l’Homme (en remplacement du ministère des droits de l’homme ?) avant d’être lui-même remplacé par la Commission Nationale Consultative de Protection et de Promotion des Droits de l’Homme (CNCPPDH)  portée plus sur la promotion de la reconciliation nationale du président Bouteflika que sur les nombreuses violations des droits humains abandonnées presqu’au seul  mouvement associatif .

Aujourd’hui encore, et bien que l’état d’urgence soit normalement levé, Alger reste toujours interdite aux manifestations même pacifiques, ce qui ne semble pas préoccuper  la Commission présidée par Mr Farouk Ksentini et qui me fait douter sérieusement de son indépendance.

Vous comprenez donc  pourquoi  je ne peux, malheureusement,  conclure qu’en soulignant  l’inefficacité de tels dispositifs. 

 

 

     

 

 

 

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