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4 août 2012 6 04 /08 /août /2012 12:10

En Algérie, la pratique du droit du travail nous révèle la méconnaissance du salarié et de l’employeur des règles élémentaires de cette discipline du droit.

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Ses sources sont multiples : étatiques, conventionnelle, contractuelle, jurisprudentielle. Elles sont d’importance inégale mais concourent toutes à définir le droit applicable aux relations entre les employeurs et les salariés. La relation contractuelle étant largement favorable à l’employeur, le but du droit du travail est de rétablir l’équilibre entre le salarié et l’employeur. Ce droit est le droit protecteur du salarié. Il a pour but l’amélioration de la condition salariale. Le droit du travail traite des différents acteurs de la vie sociale, de la formation, de l’embauche, des différents contrats de travail, des modes de ruptures du contrat de travail, des conditions de travail (durée du travail, congé…), des institutions représentatives des salariés et des conflits individuels et collectifs. 

L’Algérie a signé certaines conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ses recommandations invitent les Etats à des réformes sociales. L’Algérie a également ratifié des traités et accords bilatéraux avec un pays étrangers, notamment la France. Cet acte engage les signataires dans le cadre d’une réciprocité et sur un sujet limité. 

Dans la pratique du droit du travail, les acteurs sociaux ont tendance à négliger des principes fondamentaux et élémentaires de ce secteur du droit. Ces derniers doivent être observés et respectés par l’employeur. Les représentants des salariés ont obligation de rappeler aux employeurs la non-observation de leurs engagements. Nous développons, ci-après, quelques irrégularités récurrentes dans les relations employés/employeurs : 

Le non-respect des dispositions élémentaires du contrat de travail :

Le contrat de travail est une convention par laquelle une personne, le salarié, s’engage à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre personne, l’employeur, moyennant une rémunération, le salaire. Traditionnellement, nous avons deux types de contrat de travail : Le contrat de droit commun : le contrat de travail à durée indéterminée (CDI) ainsi que le contrat précaire : le contrat de travail à durée déterminée (CDD).

Le CDI s’impose à chaque fois qu’il s’agit de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Il se caractérise par le fait qu’il est conclu sans détermination de durée, c’est-à-dire sans que l’échéance du terme soit fixée par les parties contractantes. Il peut être conclu soit à temps complet, soit à temps partiel.

Le CDD ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise et un seul renouvellement est possible dans la durée maximale autorisée. Le manquement à cette règle le CDD se transforme en CDI. 

Les licenciements abusifs :

Il existe modes de rupture du contrat de travail. Certains de ces modes sont communs à tous les contrats de travail. Le licenciement est la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur. Tout licenciement pour être régulier, quant au fond, doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse. Les deux conditions doivent être remplies simultanément : - une cause réelle est une cause ayant une réalité concrète et vérifiable. Elle doit être objective et donc tenir soit à la personne du salarié ou à son aptitude au travail, soit à l’organisation de l’entreprise ; - Une cause sérieuse est une cause revêtant un certain degré de gravité rendant impossible – sans dommage pour l’entreprise- la continuation du travail. Le non-cumul de ces deux conditions donne à la rupture du contrat de travail un caractère abusif.

Le non-respect de la durée légale du travail : 

L’horaire de travail est fixé par l’employeur sous réserve de respecter les dispositions législatives et conventionnelles. Il est affiché sur le lieu de travail et communiqué à l’inspection du travail avant sa mise en service et avant toute modification. 

Au-delà de ces heures légales, les heures supplémentaires sont mises en œuvre. Elles se décomptent par semaine civile qui débute le dimanche à 0 heure au samedi à 24 heures. Un accord d’entreprise ou un accord de branche peut prévoir des dispositions particulières. 

En France, le taux de majoration des heures supplémentaires peut être fixé par voie conventionnelle, sans pouvoir être inférieur à 10%. A défaut d’accord, le taux de majoration est fixé à : - 25% pour les 8 premières heures – 50% pour les heures suivantes. Les majorations pour heures supplémentaires sont calculées sur la base du salaire réel. Ces heures supplémentaires sont payées en même temps que le salaire, et figurent sur le bulletin de paie. 

La formation professionnelle tout au long de la vie :

La formation professionnelle est un droit pour le salarié à la formation et à la qualification professionnelle tout au long de sa vie. Cette dernière constitue une obligation nationale. Le juge est compétent pour faire cesser toute atteinte à ce droit social. 

L’hygiène, la sécurité et les conditions de travail :

Au sein de l’entreprise, l’organe qui peut s’appeler le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail contribue à la protection de la santé, à la sécurité et à l’amélioration des conditions de travail des salariés. Les domaines d’action se résument dans l’hygiène des locaux (aération, chauffage, éclairage, bruit, installations sanitaires, nettoyage des locaux) ; la santé des salariés (interdiction de fumer, interdiction de tout harcèlement sexuel ou moral, mise à disposition d’un réfectoire ou d’une cantine, surveillance médicale…) ; la prévention en matière de sécurité : prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (réglementation d’utilisation des machines dangereuses, réglementation emploi produits toxiques, formation à la sécurité, matériel de premiers secours,..), Prévention des incendies (issues de secours, éclairage de sécurité, matériel d’extinction…).  En cas de non-respect de ces conditions, le juge peut être saisi.

L’absence de la négociation collective :

La négociation collective qui pour objectif la discussion et la conclusion entre partenaires sociaux de conventions et accords collectifs portant sur les conditions d’emploi et de travail des salariés et leurs garanties sociales. Le dialogue social, les conventions et accords collectifs de travail portent généralement sur les conditions d’emploi et de travail des salariés et leurs garanties sociales. Leur finalité est donc d’améliorer la situation des salariés à chaque fois que cela est possible. 

La convention de branche et l’accord professionnel applicable aux salariés dont l’employeur est signataire ou membre d’une organisation patronale signataire. Les organisations liées par une convention de branche ou par des accords professionnels sont tenues à une négociation périodique obligatoire.

L’employeur est tenu d’élaborer un règlement intérieur dès lors qu’il emploie au moins 20 salariés. Ce document écrit doit fixer exclusivement les éléments suivants : - les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise ; - les règles générales et permanentes relatives à la discipline (nature et échelle des sanctions qui peut prendre l’employeur) et les dispositions relatives aux droits de la défense des salariés ; - les dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel prévues par le Code du travail. 

Le règlement intérieur ne doit pas comporter de clauses contraires aux lois ou conventions collectives, de restrictions aux droits et aux libertés des personnes ou de dispositions discriminatoires (sexe, mœurs, opinions politiques, appartenance à une organisation syndicale, …) Toute carence à ses obligations conduit à la saisine du juge compétent. 

La procédure litigieuse devant le juge du travail

Le salarié lésé dans ses droits sociaux ne doit pas hésiter d’aller saisir le juge du droit du travail pour faire annuler l’abus pratiqué par l’employeur. La procédure de saisine du juge dans le droit algérien est simplifiée et le ministère de l’avocat n’est pas obligatoire. Il existe également des procédures en référé qui peuvent être épuisées. Le référé permet d’obtenir une décision d’urgence. Il prescrit des mesures conservatoires, provisoires mais immédiatement exécutoires, pour prévenir un dommage ou un trouble illicite. 

Le salarié a un rôle actif pour faire respecter le droit du travail et doit faire valoir ses droits devant le juge garant des libertés et des droits de l’employé.

Fayçal Megherbi, avocat au Barreau de Paris

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13 juin 2012 3 13 /06 /juin /2012 21:34

Les progrès réalisés par la médecine, grâce à l’apport de la technologie, sont indéniables

À la fin mes études de médecine, je n'avais pas conscience de la mission à laquelle j'étais destiné. Il faut dire qu'en dehors du savoir technique qui nous était dispensé à l'université, nos premiers pas dans ce monde passionnant du soin n'ont pas été accompagnés. 
Nos aînés, dont le rôle était aussi de nous tenir par la main et de nous guider dans ce métier, ont failli. Sans doute parce que certains d'entre eux, accablés par le travail quotidien, n'avaient pas de temps à consacrer à ce travail initiatique… car il s'agit bien de cela, d'une initiation. D'autres ont manqué à ce devoir par désintérêt ou par méconnaissance de l'importance de la relation maître-disciple. Mais il n’est pas question ici de faire le procès des aînés. 
Quand, frais émoulu, j’ai quitté la faculté de médecine, j'étais, comme un grand nombre d’étudiants, paré pour faire le diagnostic d'une typhoïde ou d'une méningite. J'avais la compétence pour pratiquer une ponction lombaire, inciser un abcès ou assister un accouchement. J’étais aussi animé d'un enthousiasme sans bornes et comme un adolescent attendant son premier rendez-vous amoureux, je manifestais de la fébrilité et de l’empressement. Je trépignais d’impatience, je voulais vite faire mes preuves. Toutefois, je ressentais au fond de moi une indicible inquiétude, un malaise que je ne comprenais pas et que je n'avais pas tout de suite identifié. Au fond, j'avais peur. Je le compris plus tard. J'avais peur parce que je sentais bien que ce métier ne se résumait pas à traiter des maladies. 
Il y avait de toute évidence quelque chose de plus important, de plus grave, de plus solennel. Une inexprimable angoisse qui fut, sans doute, responsable du choix de ma vocation actuelle. Ce fut elle qui m'amena à, finalement, croiser sur le chemin de mon débutant destin de psychiatre celui qui allait m'aider à donner un sens et une cohérence à mon avenir professionnel. Le professeur Mahfoud Boucebci. Le respect du malade était son credo. Son métier était au-dessus de tout. La connaissance et le travail étaient pour lui des valeurs fondamentales et pérennes. Sa générosité était sans limites. 
À ses patients et à ses élèves, il donnait de son temps et de son savoir, sans réserve. Des valeurs qu’il partageait avec chacun de nous et qui m’ont fait prendre conscience de l’importance du métier qui m’attendait. Faire mes premiers pas de jeune médecin auprès de ce maître m’a permis de mesurer l’importance de cette mission. 

Psychiatre : un métier exaltant
J'ai, durant ma formation de spécialiste des troubles psychiques, appris à d’abord être médecin puis à devenir psychiatre. La dimension humaniste de mon futur métier m’est apparue soudainement. Le contact avec mes premiers malades, avec la souffrance psychique, n’y est pas étranger. 
Mon inquiétude s’était alors estompée pour laisser place à un sentiment que j’avais déjà connu à la fin de mes études médicales. Une sorte d’enthousiasme et d’excitation, une exaltation cependant régulièrement pondérée par l’attentive proximité de notre maître et par les permanents conseils qu’il nous prodiguait. 
Au fur et à mesure que je progressais dans la profession, j'apprenais à écouter et à entendre. J’ai surtout mesuré l’importance de la mise en place des conditions favorables à l'émergence du dialogue singulier qui doit prévaloir dans la relation entre le médecin et son malade. Un dialogue qui doit permettre à la souffrance de s'exprimer sans réserve, sans peur, sans contrainte et dans le respect total du sujet, de l’homme. Soulager la souffrance, “prendre soin de l’homme”. Qu’y a-t-il de plus exaltant ? 
Chacun sait, le malade plus que tout autre, que la médecine d’aujourd’hui a perdu sa dimension humaine, son objet originel. Les spécialités se multiplient et saucissonnent le sujet qui n’est plus qu’un ensemble d’éléments, de pièces, d’organes, qui peuvent tomber en panne et qu’il faut arranger. Les progrès technologiques sont venus compliquer les choses en diminuant le contact entre le praticien et son patient. 
Les appareils de plus en plus sophistiqués et l’inflation de leur usage à des fins diagnostiques médiatisent la relation médecin-malade qui est réduite à sa plus simple expression. “Bonjour, asseyez vous, nous allons pratiquer une échographie.” Silence, le médecin s’affaire, il fait son examen. “C’est fini, tout va bien, au revoir monsieur”, “Au revoir docteur”. Tout cela se passe dans une pièce obscure où patient et médecin peuvent à peine se distinguer. Chacun de nous a pu vivre une situation semblable et subir l’angoisse d’un examen de ce genre ainsi que celle de l’attente du résultat, du verdict. 
Devenue trop spécialisée et trop technique, la médecine est de nos jours trop pressée, elle ne prend plus le temps d’écouter et de comprendre la souffrance, de lui donner du sens. Elle s’empresse d’aller au diagnostic, de repérer l’organe coupable, responsable de la maladie. 
Elle ne prend plus le temps d’informer le sujet sur son état de santé, sur la nature des examens qui sont pratiqués et sur leurs objectifs. Les progrès réalisés par la médecine, grâce à l’apport de la technologie, sont indéniables. Il n'est pas de mon intention de les occulter, mais ils gagneraient à être accompagnés de la permanence d’une relation rassurante avec le sujet. La médecine actuelle traite avec, par bonheur, une grande efficacité. 
Le malade se porterait sans doute mieux si elle faisait l’effort de soigner. Je dis cela parce que face au recul de l’écoute dans la pratique médicale, le patient n’a plus d’autre recours que le psychiatre. Il sait que, dans le dialogue singulier qui le lie à ce dernier, il y a un espace pour parler de soi, de ses difficultés, de sa vie, de sa souffrance… Il sait aussi qu’il peut se laisser aller, exprimer et vivre ses émotions. 
Le colloque singulier permet de mieux connaître le malade, de s’informer sur sa vie, ses difficultés, son environnement familial, social, professionnel, etc. Prendre le temps d’écouter et de comprendre permet de faire des liens entre les événements qui ont parcouru l’histoire du sujet et la souffrance qu’il présente aujourd’hui. “Tout symptôme a une valeur dans le passé, dans le présent, et pour l’avenir”, disait déjà Ibn Sina (Avicenne). Il est actuellement bien établi que la maladie n'est pas un accident de parcours. Elle a une signification et du sens. Le sujet ne tombe pas malade, il le devient. La maladie, la santé aussi, est un devenir et celui-ci est en relation étroite avec l’existence du sujet. Le développement de la psychologie médicale et de la psychologie de la santé a permis, aujourd’hui, de comprendre que c’est dans la connaissance de l’homme et de sa condition qu’il faut chercher les raisons de l’émergence de la souffrance. 
Prendre conscience de la dimension humaine de la souffrance et y apporter les soins nécessaires : c’est cela qui est particulièrement exaltant.

Il est bien entendu que le péril ne vient pas du malade, de sa dangerosité supposée ou réelle. En 30 ans d’exercice de la psychiatrie, je ne me suis à aucun moment senti menacé par les sujets que je recevais. 

L’agressivité de certains malades est rarement tournée vers le médecin traitant, hormis dans quelques cas très particuliers qu’il ne me semble pas utile de détailler ici. Par ailleurs, et cela peut être une réalité, la croyance veut que le destin de tout psychiatre est de subir le sort de ses malades. Devenir un jour ou l’autre, fou. Vrai ou faux ? Il est sûr que chaque consultation constitue un coup de boutoir. Ce qui arrive, et c’est bien connu aujourd’hui, dans toutes les professions aidantes comme les pompiers, les policiers, les infirmières et autres assistantes sociales, mais également avec les médecins et les psychiatres. 
Tous les métiers qui amènent le sujet à s’engager émotionnellement dans le travail de tous les jours sont concernés. Chaque souffrance “déposée” sur le bureau du psychiatre entre, malgré lui, en résonance avec ses propres affects. À moins qu’il n’arrive à maintenir à distance la détresse du malade et à se murer dans une neutralité bienveillante. Ce qui me semble une gageure. Personnellement, je ne crois pas aux vertus thérapeutiques de la neutralité. Ma conviction est qu’il est impossible de rester insensible, indifférent ( ?), à la détresse. La médecine est à mon sens une aventure humanitaire et à ce titre, elle s’encombre nécessairement d’une part d’empathie. Une dose de sensibilité est essentielle pour comprendre et soigner. Je dirais même qu’il est indispensable de manifester cette empathie pour accompagner l’acte thérapeutique. Y a-t-il alors un réel risque pour la santé du psychiatre? Les médecins seraient des sujets, plus que toute autre profession, particulièrement exposés au suicide. Il semble que les psychiatres le sont davantage, six fois plus encore. Mais est-ce qu’une attitude neutre modifie ce risque ? J’en doute. 
En réalité, le péril est ailleurs. Il est dans les nombreux pièges et erreurs, voire fautes, auxquels expose le métier de psychiatre. “Être psychiatre, c’est emprunter une longue route pas toujours facile…” avait écrit Boucebci. À juste titre. D’abord, comme dans toute autre spécialité, le psychiatre n’est pas à l’abri de l’erreur médicale, de l’erreur diagnostic. Et si en médecine, le diagnostic est relativement aisé du fait de la rapidité du consensus autour d’une affection donnée, en psychopathologie cela devient plus complexe, en particulier quand il s’agit de différencier le normal du pathologique. Tous les psychiatres se rappellent l’injuste procès qui a été fait, il y a plusieurs dizaines d’années, à la psychiatrie par un courant naissant qui était animé plus par des considérations politiques que par l’intérêt du malade : l’antipsychiatrie. Ce courant, qui avait également des adeptes dans notre pays, avait tenté de jeter le doute sur l’exercice de la psychiatrie et de remettre en cause l’existence même de la maladie mentale. Il n’y a pas de folie, c’est la société qui malade. Les affections psychiques étaient brusquement devenues un alibi pour une nouvelle discipline, la “sociatrie”. Cette polémique, qui participait de la manipulation idéologique n’a pas résisté à la réalité du terrain. Le débat sur le consensus diagnostic se heurte encore aujourd’hui aux problèmes de la concordance des références théoriques qui donnent sa substance à la psychiatrie. La psychanalyse, la psychologie cognitive et comportementale, la psychologie systémique, la psychobiologie etc., autant d’éclairages qui peuvent s’additionner pour apporter à la pathologie mentale une meilleure compréhension.  Pourtant, chaque référence s’accroche à son dogme et n’en démord pas. Des disputes de chapelle qui sont encore d’actualité et qui sont parfois un obstacle à l’acte thérapeutique. Mais aussi une opportunité à l’émergence, à tort plus souvent qu’à raison, de nombreuses pratiques parallèles qui revendiquent la compétence à “donner le soin” et qui constituent quelques fois un véritable danger pour le malade. Il faut dire que la psychiatrie, discipline à part entière de la médecine-il faut régulièrement le rappeler-, a pris ses responsabilités en se dotant d’un instrument de consensus diagnostic international, le CIM (Classification internationale des maladies) et le DSM (manuel de diagnostic de l’Association américaine de psychiatrie). Le psychiatre qui s’y réfère sait de quoi il parle quand il évoque un diagnostic, et il sait aussi que son collègue de l’autre extrémité de la planète parle de la même chose. Mais cela suffit-il à protéger le patient ? 
La faute morale guette aussi le psychiatre. Les références religieuses, politiques ou tout simplement philosophiques peuvent obscurcir sa clairvoyance et entacher son acte thérapeutique. Le consensus diagnostic et le soin se heurtent ainsi aux convictions et croyances qui servent de références théoriques et guident l’acte thérapeutique. Dans certains cas, ce praticien n’est plus dans son rôle, qu’il soumet totalement à ses convictions religieuses. Nous assistons, particulièrement aujourd’hui, à une inflation de la religiosité. Ce qui en soit est un problème personnel. Mais y emprisonner le malade sous ce prétexte constitue une faute médicale grave. Par ailleurs, de nouveaux gourous, qui officient loin des pratiques traditionnelles habituelles, ont investi le domaine du soin. Les dégâts qu’ils occasionnent sont considérables. Une mainmise sur le malade qui est, dans de nombreux cas, rendue possible grâce à la collaboration et à la complicité de certains médecins. Le malade a, en particulier dans la souffrance, droit au respect de ses croyances. Il ne doit pas être abusé. Les convictions religieuses et politiques ne doivent en aucun cas déterminer la conduite de l’acte thérapeutique et le praticien ne doit pas, au risque de faire une grave entorse à la déontologie  et à l’éthique, profiter de la détresse du sujet pour exercer son influence. L’essence même de la doctrine hippocratique. Mais a-t-elle encore un sens chez nous ? “…J’ai respecté l’homme dans son essence libertaire”, avait écrit Boucebci. Le médecin et le psychiatre en particulier ont toujours été préoccupés par la protection des biens et par la sauvegarde des droits du malade et du malade mental en particulier. Pour ce faire, des lois ont été promulguées dans la quasi-totalité des pays. Plus tard ont été défendus les droits à la santé et à l’information, mais surtout le droit à la dignité et à l’exercice du libre arbitre. Le droit à la santé est indissociable des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le psychiatre est naturellement à l’avant-garde de cette revendication qui constitue un acte de citoyenneté largement assumé par de nombreux confrères. Nous sommes là de plain-pied dans le champ de la politique. Pourquoi pas, si l’action politique milite pour l’épanouissement des Droits du malade et de l’Homme et si elle contribue à l’émancipation des libertés démocratiques. Le psychiatre est aussi un citoyen qui est interpellé par la vie de la cité. À ce titre, il a la responsabilité de s’exprimer. Par la nature même de sa fonction, celui-ci est en quelque sorte un vigile social. Est-il toujours dans son rôle en mettant le pied à l’extérieur du champ de la médecine ? Le péril est là. Faut-il s’y dérober ? Je ne le crois pas. En tout cas, c’était l’opinion de Mahfoud Boucebci. Il avait choisi d’emprunter ce chemin. C’est ainsi qu’il a été, au milieu des années 80, membre fondateur de la première Ligue algérienne des Droits de l’Homme et qu’à la suite des événements d’octobre 88, il s’était investi, avec d’autres confrères, dans le comité de lutte contre la torture. Inscrire la psychiatrie dans une dimension politique a d’abord eu son effet pervers. J’évoquais le rôle de l’antipsychiatrie et de l’idéologie qui a animé cette polémique. La dérive de la politisation de la psychiatrie a atteint son maximum d’horreur avec l’Empire soviétique. “L’URSS avait inventé une nouvelle maladie mentale : l’opposition”, avait dit VK. Boukovski, un dissident qui avait été emprisonné durant 12 ans dans une prison-hôpital. Chacun connaît les dégâts engendrés par les “emprisonnements psychiatriques” dans les asiles et autres goulags de l’ancien bloc des pays de l’Est. Des psychiatres y avaient été impliqués mais ce fut un horrible cauchemar pour un grand nombre d’entre eux. Le cauchemar avait été plus abominable encore pour ceux qui en ont été les victimes. Un moment sombre de l’histoire de la psychiatrie, des Droits de l’Homme et de tous les pays qui ont eu à subir les affres de cette idéologie… Plus près de nous, il faut souligner la complaisance de certains psychiatres français, Antoine Porot notamment, qui avaient mis au service de la puissance coloniale leur théorie raciale et raciste pour asseoir sa domination et justifier le “projet civilisateur” à l’intention de l’indigène nord-africain… “un hâbleur, menteur, voleur, fainéant…”  et “dont le cerveau est peu évolué”.  
“…J’ai chaque jour essayé de soigner la souffrance sans jamais en tirer profit….”. Ce propos de Mahfoud Boucebci est toujours actuel. Il est une mise en garde qui avertit de la difficulté à résister à la tentation du pouvoir que donne le statut de médecin et de psychiatre. En devenant auxiliaires de la justice, par le biais des expertises notamment, la médecine et la psychiatrie prennent part à la décision et acquièrent davantage de pouvoir. Ce dernier (le pouvoir) est corrupteur, c’est pourquoi il constitue une menace à la morale professionnelle. Le profit que le statut d’expert peut générer, aiguise les appétits. L’expertise médico-légale est une condition qui piège le psychiatre, certains psychiatres, qui cède quelquefois à l’illusion de la toute puissance que confère un tel rôle social. Il oublie la mission de protection des droits du malade, pour laquelle il a été commis, pour se mettre au service d’un dessein toujours éloigné de l’intérêt du sujet justiciable. Le pouvoir, et plus trivialement le gain financier, constitue le profit immédiat recherché. La profession médicale est mise au service de la cupidité pendant que dignité et la liberté du malade sont foulées aux pieds. Ces cas de figure ne sont malheureusement pas rares. Ceci n’est pas seulement une faute médicale grave, c’est un crime. Le médecin et/ou le psychiatre, qui s’abîme dans ces pratiques, bafoue les lois de l’honneur et de la probité, des fondements du serment d’Hippocrate. Mais il y a bien longtemps que ce dernier n’a plus été prêté dans nos facultés. 
Pour conclure, j’invite le lecteur, en particulier le médecin, à méditer ce propos qu’avait écrit M. Boucebci dans le préambule de son livre Psychiatrie, Société et Développement : “Dis-moi quelle conception tu as du malade… psychiatrique, je te dirais à quel modèle de société et à quelle civilisation tu aspires dans ton inconscient”.

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6 juin 2012 3 06 /06 /juin /2012 03:29
4 juin 2012 à 19:36
A Tizi-Ouzou (Kabylie).
A Tizi-Ouzou (Kabylie). (Photo Louafi Larbi.Reuters)

grand angle Une vague de suicides de jeunes à Tizi-Ouzou bouleverse une communauté qui oscille entre la honte et la crainte d’être stigmatisée par le pouvoir.

Par JEAN-LOUIS LE TOUZET Envoyé spécial à Tizi-Ouzou, Algérie

Au mois de mars, l’air est sec, froid et souvent d’un bleu très dru à 900 mètres d’altitude à Adrar, un petit village de Kabylie, au nord-est de Tizi-Ouzou, en Algérie. A Adrar il n’y a rien, mis à part des locaux commerciaux qui n’ont jamais ouverts mais le gaz de ville et l’éclairage public sont pour bientôt. Quand le temps est dégagé, on peut voir la mer et la baie d’Azeffoun.

Le 18 mars dernier, aux alentours de 19 h 30, l’alerte est donnée dans tout Adrar. Le jeune Mohamed Douzen, onze ans, élève de 5e (l’équivalent du CM2), dernier d’une famille de treize enfants, a disparu. Ce soir-là les choses n’allaient pas comme d’habitude. Le petit Mohamed avait tourné autour de ses sœurs dans l’après-midi comme une guêpe, les sollicitant pour un câlin, pour un oui pour un non, se pelotonnant comme un chat sur leur lit, leur demandant avec insistance ce qu’elles étaient en train de faire.

Arezki, agent de l’autorité villageoise, se souvient ce soir-là, quand la nouvelle de la mort du petit Mohamed est tombée, du vacarme de chaises, de pieds, et de tabourets renversés. Mohamed était encore une heure auparavant dans les jambes de sa mère partie «chercher des légumes chez la voisine», raconte-t-il. C’est le frère aîné de Mohamed, Makhlouf, maçon comme son père, qui a retrouvé le petit pendu accroché avec un nœud coulant à la branche noueuse d’un olivier sur la parcelle du voisin, distante de trois cents mètres de la maison familiale. Le petit avait pris l’habitude de «jouer sous les oliviers». Pour son père, «c’était son refuge».

Le corps n’avait pas la moindre oscillation et était «encore chaud» quand Makhlouf et Amine, un des cadets, maçon tout comme les autres, ont décroché leur petit frère qu’ils ont éclairé avec des torches et des lampes à gaz. Amine raconte aujourd’hui, en s’essuyant les yeux avec le revers de sa manche, qu’il ne manquait «pas cinq centimètres», en montrant l’écart entre le pouce de l’index, pour que les pieds en flèches, chaussés «de petites tennis blanches», touchent les deux briques rouges que le petit avait transportées du dernier étage du domicile familial, toujours en chantier, pour se hisser et en finir.

«Je me suis suicidé»

La maison des Douzen ne possède ni Internet ni parabole. Elle a deux étages dont le dernier est hérissé de fers à béton. Au rez-de-chaussée, il y a un café tenu par le père, Ali, et ses fils. Un café de village avec des viennoiseries sous plastique sur des présentoirs métalliques. La télé, qui diffuse uniquement les chaînes nationales, est aujourd’hui en sourdine. Les consommateurs en terrasse sirotent, silencieux, des expressos et du thé. Ils ont vue sur la route, les nids de poule et la volée de marches de la mosquée.

Le père, après avoir porté en tremblant une cigarette à la bouche, trouve un semblant d’équilibre pour dire : «C’était un gentil garçon, rêveur qui passait du temps avec nous dans le café à écouter les adultes sans rien dire. Puis il partait d’un coup se cacher sous les oliviers…» Les voisins se consultent du regard, l’écoutent parler sans l’aider d’une parole, d’un geste. Ses mains sont énormes et tavelées par le ciment. Il porte une salopette en denim nouée jusqu’au dernier cran à la taille par un ceinturon de cuir.

Le soir du drame, il se souvient qu’il suivait péniblement ses aînés en montant le mamelon caillouteux éclairé à la lueur d’une torche. Puis alerté par les cris des frères déjà sur place, il a voulu accélérer mais le cœur lui sortait de la poitrine. Il est arrivé hors d’haleine, mâchoire tremblante, et a vu le corps posé sur la mousse qui lui faisait comme un édredon. Il a alors pris le corps de Mohamed dans ses bras en sanglotant attendant que la Sécurité civile monte de Tizi-Ouzou qui ne pourra que constater le décès. La gendarmerie ne s’est pas déplacée sur les lieux mais a gardé le corps à la brigade «pour examens complémentaires».

Par le sentier de chèvres qui mène aux oliviers du voisin, pendant que la sécurité civile emportait le corps par la route, Amine, rentre vers la maison, le visage mangé de larmes. Il tombe, dit-il, sur «un bout de papier» coincé dans une branche de figuier fraîchement cassée : «Je m’appelle Mohamed Douzen et je me suis suicidé.» La maman de Mohamed ne fut prévenue que dans la nuit de la mort de son dernier : «Pour la ménager», souffle le père. Depuis, elle ne sort plus de la maison de la voisine. L’explication, on la lit dans une contribution écrite en 2008 par les professeursBadra Moutassem-Mimouni et Mostefa Mimouni intitulée : Tentatives de suicide et suicide des jeunes à Oran, entre désespoir et affirmation de soi. «En plus de la honte qu’il leur fait subir en se supprimant, cet acte peut être vécu [par les parents] comme une négation de leur existence et de leur place dans la vie. Comme s’ils ne comptaient pas à ses yeux, comme une preuve du manque d’amour et de respect qu’il leur doit de façon inconditionnelle car la culture musulmane est basée sur le respect absolu des parents et de leur autorité» (1).

Le voisinage est venu témoigner de sa compassion à la famille mais pour certains, dit Arezki, le chef du comité de village, les paroles réconfortantes n’arrivaient pas à sortir «comme si la foudre était tombée». Le quotidien arabophone d’Alger, Ennahar, qui n’a pas dépêché de journaliste sur place, a brodé les jours suivants sur une querelle de voisinage qui serait à l’origine du suicide du petit, laissant entendre au passage une faiblesse supposée des parents qui ne savent pas tenir leurs enfants. Le père s’effondre en larmes et dit que jamais il n’a porté la main sur son gosse. Ni jamais grondé «parce qu’il n’avait pas de bonnes notes et puis pourquoi faire ? Il aurait fait maçon, comme ses frères, c’est tout ce qu’on peut espérer ici, maçon…» Deux jeunes psychologues ont été envoyées de Tizi-Ouzou pour accompagner la famille dans leur deuil. Le père qui n’a pas «d’instruction», comme il dit, a vu «tout de suite» qu’il s’agissait de stagiaires «qu’on n’a jamais revues à la maison depuis».

«Poids des traditions»

Pour le seul mois de mars, outre Mohamed, deux autres garçons se sont pendus dans la wilaya de Tizi-Ouzou, en Kabylie. Le 19 mars, en fin de journée, sur la commune d’Irjen, à 18 km de Tizi-Ouzou, le jeune Azdin (prénom modifié) s’est pendu avec la ceinture de son kimono. Il allait avoir 13 ans.

«Ces enfants ne se connaissaient pas. Il s’agit d’un pur hasard. Ils se sont pendus. Ils ne se sont pas donnés la moindre chance de s’en sortir», insiste le médecin psychiatre Mahmoud Boudarene, ancien député du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie, un parti laïc bien implanté en Kabylie). Il souligne qu’«il n’y a jamais d’enquêtes sérieuses concernant les suicides mais on peut avancer que ces passages à l’acte découlent de problèmes psychologiques sévères et d’immenses difficultés pour ces enfants à contrôler leurs émotions. La pendaison est un huis clos contrairement aux immolations qui sont une sorte de mise en scène sacrificielle : je souffre et je me sacrifie au nom des autres.»

Le taux national de 4 suicides pour 100 000 habitants est le pourcentage «officiellement» avancé à Alger mais il«ne correspond pas à la réalité» et serait, selon Mahmoud Boudarene,«beaucoup plus élevé». Un hiatus qui s’expliquerait par «des erreurs statistiques et la dissimulation du suicide en accident ou en mort naturelle dans un pays où le poids des traditions et de la religion est important.»

«En l’absence de statistiques fiables et sérieuses , poursuit-il, il faut en parler car les difficultés auxquelles sont confrontés les Algériens sont des facteurs précipitant le passage à l’acte.»

Un voisin de la famille de Mohamed, qui ne veut pas être cité, s’indigne : «Les journaux en arabe font leurs choux gras sur les suicides et disent que les Kabyles ne sont pas de pas de bons parents, qu’ils battent leurs enfants et qu’ils ne sont pas de bons croyants…» Dans son livre L’action politique en Algérie, un bilan, une expérience et le regard du psychiatre, Mahmoud Boudarene note pour sa part que«la comptabilité morbide égrenée par les médias concernant le suicide en Kabylie a amené les acteurs de la vie politique à interpréter le suicide comme le résultat d’une carence de la foi dans cette région du pays. Les sujets sont alors stigmatisés, blâmés et parfois excommuniés.»

Le corps exposé dans la classe

Exceptionnellement, les obsèques du petit Mohamed eurent lieu le surlendemain du drame. Les prières rituelles furent conduites par l’iman qui s’est bien gardé de rappeler à la famille que le suicide était un acte de désobéissance à Dieu. Mohamed a été porté en terre. Auparavant, son corps avait été placé dans la salle de classe, selon les souhaits des deux jeunes psys. Le directeur de l’école, Monsieur Ramdane, a trouvé cela «traumatisant» pour les enfants mais, dit-il, «j’imagine que les psychologues savent mieux ces choses-là que nous.» Le docteur Mahmoud Boudarene, lui, a jugé l’initiative déplacée : «Personnellement je n’aurais pas pris une telle décision. Ses camarades de classe auraient tout à fait pu aller lui rendre une dernière visite au domicile mortuaire. Une démarche qui s’inscrit dans les usages et qui aurait été un élément précurseur pour le travail de deuil chez les enfants.»

Pour le directeur de l’école primaire, Mohamed «n’était pas intéressé par l’école» : «Ses notes étaient moyennes, parfois en dessous mais il n’y avait pas de pression des parents. L’enfant était turbulent comme tous les gosses de cet âge.» Le jour où il s’est pendu, ajoute Ramdane, Mohamed a blessé d’une pierre le poignet d’une camarade dans la cours de récréation «mais ce n’était pas méchant». Trois jours avant de se pendre, le garçon avait lancé à sa mère dans la cuisine : «Toi aussi, un jour, tu porteras mon cartable dans la rue comme la folle.» Il faisait allusion à un fait-divers qui s’est déroulé deux ans plus tôt dans la commune des Aghribs. Un écolier de CM2, comme lui, s’était pendu en fin d’année scolaire. La mère, folle de douleur, marche depuis, hébétée, dans les rues, avec le cartable de son fils sur le dos. Le père est assis dans un coin sombre de la terrasse, fume cigarette sur cigarette, et répète inlassablement le prénom de son fils.

(1) Editée par le Crasc (Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle) d’Oran.

 

 

In Liberation du 04.06.2012

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