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6 août 2012 1 06 /08 /août /2012 01:31



 

«Nous avons lu la déclaration du commissaire Boudalia, chargé de la communication à la DGSN, qui affirmait dans la presse que Slimane Rebaïne n’a pas déposé une plainte ni présenté un certificat médical. Ce n’est pas faux. La victime ne déposera pas une plainte pour le moment, elle a le temps pour ça. En attendant de ficeler le dossier, nous allons utiliser tous les moyens en notre possession pour dénoncer d’abord cette humiliation», a déclaré un militant d’Amnesty International.

 Depuis que Slimane a été tabassé par des policiers à Beni Douala, dans la wilaya de Tizi Ouzou, la question des non- jeûneurs en Algérie défraie encore une fois la chronique. Y a-t-il excès de zèle de la part des policiers ? Que prévoient la religion et la loi ?       

Beni Douala, 11e jour du mois de carême, au domicile familial de Slimane, au village Taddarth Oufella. Depuis son passage à tabac par un officier de la brigade mobile de la police de la ville de Beni Douala, Slimane, 37 ans, journalier, n’a pas cessé de recevoir des propositions pour étouffer son affaire. Slimane Rebaïne a été surpris en train de manger «à l’abri des regards», affirme-t-il, mercredi dernier par des policiers en patrouille dans la ville de Beni Douala, 15 km à l’est de Tizi Ouzou. Brutalisé, puis embarqué au commissariat, il passe près de trois heures dans les locaux de la police. «Au bout de quelques heures, mon téléphone a sonné, c’était ma mère. Elle attendait que je rentre avec des commissions. Le policier, avant de me relâcher lui dit au téléphone d’un ton menaçant : ‘‘Ecoutez madame, nous allons le relâcher mais la prochaine fois, ce sera la prison.’’», raconte Slimane, assurant qu’il n’a été ni maltraité au commissariat ni signé de PV.

Le lendemain, la victime a été conseillée de faire établir des certificats médicaux pour attester des coups qu’il a encaissés avant son embarquement au commissariat. Le certificat médical décrit plusieurs lésions et un arrêt de travail de 10 jours. «Devant la polyclinique, où j’ai été pour faire établir le premier certificat, l’officier est venu me voir. Il a commencé à me parler d’un travail, gentiment, dans une tentative d’arranger les choses à l’amiable, mais j’ai refusé la proposition ; je n’ai rien répondu», poursuit la victime. Au sujet de la plainte, Slimane reste vague, disant simplement que les choses avancent. «Avec des amis d’organisations de défense des droits de l’homme, nous sommes en train de monter un dossier, mais nous allons attendre un peu», dira-t-il. Après un moment de silence, il ajoute : «J’aurais fermé les yeux si on m’avait juste parlé ou même embarqué dans les règles. Mais ils m’ont frappé et humilié, car ce n’est pas la première fois que cela m’arrive. J’ai eu affaire au même policier et à la même brutalité l’an dernier. Là, je n’en peux plus !»


Humilié


Les traces de coups, de bleus sont toujours visibles sur le bras et le visage de Slimane. Sa mère, 70 ans, s’invite à la discussion, désirant apporter son témoignage. Et de s’interroger et dénoncer certaines pratiques des policiers. «Je sortais à peine d’une épicerie quand le véhicule de police s’arrêta à ma hauteur. Ils m’ont sollicitée de les suivre au commissariat. Ils m’ont demandé de dire qu’ils n’ont rien fait à mon fils et qu’il est rentré sans lésion ni blessures», révèle cette septuagénaire. Et de poursuivre : «Je me suis opposée à ce qu’ils essayaient de me faire dire, mais comme je ne sais pas lire, je ne pouvais pas savoir ce que les policiers ont écrit sur la feuille (une déposition, ndlr) qu’ils m’ont obligée à signer. J’ai juste essayé de leur expliquer que le jeûne est une question personnelle et que personne n’a le droit de malmener ou obliger les gens à l’observer.

Et ce, avant qu’ils ne tentent de me proposer du travail…  à mon âge !» A la fin de la rencontre, Slimane lâche, l’air effrayé : «Vont-ils encore venir me chercher après mes déclarations à la presse ?» Il tient le coup grâce au soutien des organisations de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International, la LADDH de Hocine Zehouane et la Maison des droits de l’homme de Tizi Ouzou ainsi que des partis politiques, comme le RCD, qui se sont manifestés à travers des déclarations publiques.

Face-à-Face :

 

Dr Nadir Bousba. Enseignant universitaire en sciences islamiques :
La police a le droit de protéger la morale publique

 

- Que prévoit la religion pour les non-jeûneurs qui mangent publiquement ?

Jeûner est obligatoire par rapport à la religion, c’est d’ailleurs l’un des piliers de l’islam. Et il n’est à mon avis pas utile de s’engager dans un débat pareil. Ne pas faire le jeûne est haram et seul Dieu peut punir le non-jeûneur et non la loi des hommes.


- Autrement dit les services de sécurité n’ont pas le droit d’intervenir et de tabasser le non-jeûneur…   

Dans les textes législatifs algériens, c’est vrai qu’ils ne font pas référence au Ramadhan.  Mais, ce qui est important est que la loi,  partout dans le monde, est censée préserver la morale publique et les bonnes mœurs. Il y a une tradition et une culture ancrées dans la société qui doivent être protégées par le représentant de l’Etat. Et le jeûne en fait partie. Manger publiquement pendant le Ramadhan est une atteinte aux mœurs. Ce qui m’amène à dire que manger en plein public pendant le Ramadhan est considéré comme étant une atteinte à la morale publique. Nous sommes donc passés d’une question purement religieuse à une autre sociale et législative. La société a donc le doit de refuser ce genre de comportement. Car, si on se réfère à la religion, c’est une liberté individuelle et en aucun cas, la personne ne peut être agressée si elle ne le fait pas devant les autres. Les services de sécurité sont censés protéger les bonnes mœurs.


- Mais la Constitution protège les libertés individuelles et la liberté de culte…

Je suis d’accord. Cependant, cette même Constitution protège également la société et ses sentiments. Notre liberté s’arrête où commence celle des autres.


- Pendant un mois, c’est toute la restauration qui est fermée alors que des étrangers trouvent du mal à s’intégrer…

Cela relève de l’organisation des autorités concernées. C’est au gouvernement de réfléchir à une possibilité d’ouvrir des espaces dédiés aux personnes étrangères désirant manger pendant la journée pour qu’il ne le fassent pas en public afin d’éviter de heurter la sensibilités des uns et des autres.
Nassima Oulebsir

 

 

Noureddine Benissad.Président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme : La police n’est pas une milice des mœurs

 

- La police a-t-elle le droit d’agir ?

C’est un excès de zèle. Du point de vue de la loi, les forces de l’ordre n’ont absolument pas le droit de brutaliser gratuitement un citoyen, même si, selon des témoins, le ton est monté entre cette personne et la police. Ce non-jeûneur a été brutalisé publiquement. Le rôle de la police n’est pas de s’arroger en milice des mœurs. Elle n’a pas à interpeller quelqu’un qui ne jeûne pas ou parce qu’il professe une autre religion que l’islam. Cette affaire est en lien direct avec la liberté de culte, la liberté de penser, qui est garantie par la Constitution et les différents instruments internationaux ratifiés par l’Algérie. Aucun texte à ce jour ne punit une personne qui ne souscrit pas aux obligations religieuses.


- Existe-t-il des dispositions claires à l’égard des non-jeûneurs ? Plus exactement, que prévoit la loi ?
Il existe bien l’article 144 bis du code pénal qui condamne le fait de s’attaquer à la religion et à ses symboles. Mais il faut bien lire le texte, il ne s’en prend pas aux non-jeûneurs, contrairement au Maroc, où il existe une loi précise à leur égard. En Algérie, le fait de manger pendant le mois de Ramadhan est souvent assimilé à une forme de blasphème. Et qui dit non-jeûneur, dit parfois forcément chrétien, ce qui est loin d’être le cas. Le fait de ne pas pratiquer une religion dans sa globalité relève entièrement de la liberté individuelle. Quand bien même on pourrait admettre une provocation, ce n’est pas une raison pour en arriver à des situations à la fois compliquées juridiquement et dramatiques sur le plan personnel.
Noël Boussaha

 

LES NON-JEÛNEURS TRAQUÉS

 

12 août 2010

Hocine Hocini et Salem Fellak sont arrêtés et inculpés pour avoir «mangé» durant le mois de Ramadhan. Leur procès s’est tenu le 21 septembre 2010 au tribunal de Aïn El Hammam (Tizi Ouzou), ils sont poursuivis pour «offense à l’islam». Ils seront acquités.

29 août 2010

Des agents du commissariat d’Ighzer Amokrane (Béjaïa) font irruption dans un bloc des 100 locaux commerciaux au 2e étage pour appréhender les dix jeunes âgés de 20 à 30 ans se trouvant à l’intérieur d’un local alors qu’ils prenaient un café. Poursuivis pour «offense aux préceptes de l’islam», ils sont relaxés à l’issue d’un procès.

 

7 septembre 2010

Les agents de la sûreté surprennent un groupe de jeunes près de la cité de l’Espérance à Aïn Beida (Oum El Bouaghi) suite à un appel anonyme les accusant de manger en public. Farès Bouchouata, 27 ans, est arrêté pour non-observation du jeûne. Poursuivis pour «offense aux préceptes de l’islam» Il est condamné à 2 ans de prison.

 

26 juillet 2012

A Tizi Ouzou, un jeune homme, Slimane Rebaine, âgé de 36 ans, a été tabassé par la police car il a été surpris en train de boire de l’eau.

 

27 juillet 2012

Boumerdès, trois jeunes ont été arrêtés par les services de police, et ce, pour non-observation du jeûne. Les services de police les ont surpris en train de fumer dans une maison abandonnée dans un des villages des Issers.

 

Nordine Douici in El Watan 03/08/2012
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